Page:Verne - Une ville flottante, 1872.djvu/282

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
94
aventures

ils étaient munis d’arcs d’aloës qu’ils maniaient avec une grande adresse. Plus d’un lion, en effet, était déjà tombé sous leurs flèches.

Les six chasseurs, formant un groupe compact, se dirigèrent vers le défilé dont les deux jeunes savants avaient la veille reconnu les abords. Ils ne prononçaient pas une parole et se glissaient entre les troncs de la futaie, comme les Peaux-Rouges sous les broussailles de leurs forêts.

Bientôt, la petite troupe fut arrivée à l’étroite gorge qui formait l’amorce du défilé. À ce point commençait ce boyau, creusé entre deux murailles de granit, qui conduisait aux premières pentes du contrefort. C’était dans ce boyau, à mi-route environ, sur une portion élargie par un éboulement, que se trouvait la tanière occupée par la bande des lions.

Le bushman prit alors les dispositions suivantes : Sir John Murray, un des indigènes et lui, devaient s’avancer seuls en se glissant sur les arêtes supérieures du défilé. Ils espéraient arriver ainsi près de la tanière, et comptaient en déloger les redoutables fauves, de manière à les chasser vers l’extrémité inférieure du défilé. Là, les deux jeunes Européens et les deux Bochjesmen, postés à l’affût, devaient recevoir les fuyards à coups d’arcs et de fusils.

L’endroit se prêtait excellemment à cette manœuvre. Là s’élevait un énorme sycomore qui dominait tout le taillis environnant, et dont les multiples fourches offraient un poste sûr que les lions ne sauraient atteindre. On sait, en effet, que ces animaux n’ont pas reçu, comme leurs congénères de la race féline, le don de grimper aux arbres. Des chasseurs, ainsi placés à une certaine hauteur, pouvaient esquiver leurs bonds et les tirer dans des conditions favorables.

La manœuvre périlleuse devait donc être exécutée par Mokoum, sir John et l’un des indigènes. Sur l’observation qu’en fit William Emery, le chasseur répondit qu’il ne pouvait en être autrement, et il insista pour qu’aucune modification ne fût apportée à son plan. Les jeunes gens se rendirent à ses raisons.

Le jour commençait alors à poindre. L’extrême sommet de la montagne s’allumait comme une torche sous la projection des rayons solaires. Le bushman, après avoir vu ses quatre compagnons s’installer sur les branches du sycomore, donna le signal du départ. Sir John, le Bochjesman et lui, rampèrent bientôt le long d’une sente capricieusement contournée sur la paroi de droite du défilé.

Ces trois audacieux chasseurs s’avancèrent ainsi pendant une cinquantaine de pas, s’arrêtant parfois et observant l’étroit boyau qu’ils remontaient. Le bushman ne doutait pas que les lions, après leur excursion noc-