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aventures

des montagnes du Roggeveld dans la colonie du Cap. Pendant la saison humide, cette région présente partout les symptômes de la plus admirable fertilité ; après quelques jours de pluie, le sol est recouvert d’une épaisse verdure ; les fleurs naissent de toutes parts ; les plantes, dans un très court laps de temps, sortent de terre ; les pâturages épaississent à vue d’œil ; les cours d’eau se forment ; les troupeaux d’antilopes descendent des hauteurs et prennent possession de ces prairies improvisées. Mais ce curieux effort de la nature dure peu. Un mois à peine, six semaines au plus se sont écoulées, que toute l’humidité de cette terre, pompée par les rayons du soleil, s’est perdue dans l’air sous forme de vapeurs. Le sol se durcit et étouffe les nouveaux germes ; la végétation disparaît en quelques jours ; les animaux fuient la contrée devenue inhabitable, et le désert s’étend là où se développait naguère un pays opulent et fertile.

Tel était ce karrou que la petite troupe du colonel Everest devait traverser avant d’atteindre le véritable désert qui confine aux rives du lac Ngami. On conçoit quel intérêt avait le bushman à s’engager dans cette phénoménale région, avant que l’extrême sécheresse en eût tari les sources vivifiantes. Aussi, communiqua-t-il ses observations au colonel Everest. Celui-ci les comprit parfaitement, et il promit d’en tenir compte dans une certaine proportion, en hâtant les travaux. Mais il ne fallait pas cependant, que cette hâte nuisît en rien à leur exactitude. Les mesures angulaires ne sont pas toujours faciles et faisables à toute heure. On n’observe bien qu’à la condition d’observer dans certaines circonstances atmosphériques. Aussi les opérations n’en marchèrent-elles pas sensiblement plus vite, malgré les pressantes recommandations du bushman, et celui-ci vit bien que, lorsqu’il arriverait au karrou, la fertile région aurait probablement disparu sous l’influence des rayons solaires.

En attendant que les progrès de la triangulation eussent amené les astronomes sur les limites du karrou, ils pouvaient s’enivrer en contemplant la splendide nature qui s’offrait alors à leurs regards. Jamais les hasards de l’expédition ne les avaient conduits en de plus belles contrées. Malgré l’élévation de la température, les ruisseaux y entretenaient une fraîcheur constante. Des troupeaux à milliers de têtes eussent trouvé dans ces pâturages une nourriture inépuisable. Quelques verdoyantes forêts hérissaient çà et là ce vaste sol qui semblait aménagé comme celui d’un parc anglais. Il n’y manquait que des becs de gaz.

Le colonel Everest se montrait peu sensible à ces beautés naturelles, mais sir John Murray et surtout William Emery ressentirent vivement le poétique sentiment qui se dégageait de cette contrée perdue au milieu des déserts africains. Combien le jeune savant regretta alors son