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aventures

manquaient ! Ces registres, Nicolas Palander ne les rapportait pas ! Les avait-il égarés ? Les lui avait-on volés ? Peu importait ! Ces registres étaient perdus ! Tout était à refaire, tout à recommencer !

Tandis que ses compagnons, terrifiés, — c’est le mot, — se regardaient silencieusement, Mathieu Strux laissait déborder sa colère ! Il ne pouvait se contenir ! Comme il traita le malheureux ! De quelles qualifications il le chargea ! Il ne craignit pas de le menacer de toute la colère du gouvernement russe, ajoutant que, s’il ne périssait pas sous le knout, il irait pourrir en Sibérie !

À toutes ces choses, Nicolas Palander ne répondait que par un hochement de tête de bas en haut. Il semblait acquiescer à toutes ces condamnations, il semblait dire qu’il les méritait, qu’elles étaient trop douces pour lui !

« Mais on l’a donc volé ! dit enfin le colonel Everest.

— Qu’importe ! s’écria Mathieu Strux hors de lui ! Pourquoi ce misérable s’est-il éloigné ? Pourquoi n’est-il pas resté près de nous, après toutes les recommandations que nous lui avions faites ?

— Oui, répondit sir John, mais enfin il faut savoir s’il a perdu les registres ou si on les lui a volés. Vous a-t-on volé, monsieur Palander ? demanda sir John, en se retournant vers le pauvre homme, qui s’était laissé choir de fatigue. Vous a-t-on volé ? »

Nicolas Palander fit un signe affirmatif.

« Et qui vous a volé ? reprit sir John. Serait-ce des indigènes, des Makololos ? »

Nicolas Palander fit un signe négatif.

« Des Européens, des blancs ? ajouta sir John.

— Non, répondit Nicolas Palander d’une voix étranglée.

— Mais qui donc alors ? s’écria Mathieu Strux, en étendant ses mains crispées vers le visage du malheureux.

— Non ! fit Nicolas Palander, ni indigènes… ni blancs… des babouins ! »

Vraiment, si les conséquences de cet incident n’eussent été si graves, le colonel et ses compagnons auraient éclaté de rire à cet aveu ! Nicolas Palander avait été volé par des singes !

Le bushman exposa à ses compagnons que ce fait se reproduisait souvent. Maintes fois, à sa connaissance, des voyageurs avaient été dévalisés par des « chacmas, » cynocéphales à tête de porc, qui appartiennent à l’espèce des babouins, et dont on rencontre des bandes nombreuses dans les forêts de l’Afrique. Le calculateur avait été détroussé par ces pillards, non sans avoir lutté, ainsi que l’attestaient ses vêtements en lambeaux. Mais cela ne l’excusait en aucune façon. Cela ne serait pas arrivé, s’il fût resté à sa place, et les registres de la commission scientifique n’en étaient pas moins