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de trois russes et de trois anglais

« A-t-il l’air d’un gueux ! » murmurait le savant.

Ce grand singe, tout anxieux, semblait faire des signaux à ses camarades. Quelques femelles, leurs petits accrochés sur l’épaule, s’étaient réunies en groupe. Les mâles allaient et venaient autour d’elles.

Les chasseurs s’approchèrent encore. Chacun avait reconnu le voleur et pouvait déjà le viser à coup sûr. Mais voici que, par un mouvement involontaire, le fusil partit entre les mains de Nicolas Palander.

« Malédiction ! » s’écria sir John, en déchargeant son rifle.

Quel effet ! Dix détonations répondirent. Trois singes tombèrent morts sur le sol. Les autres, faisant un bond prodigieux, passèrent comme des masses ailées au-dessus de la tête du bushman et de ses compagnons.

Seul, un chacma était resté : c’était le voleur. Au lieu de s’enfuir, il s’élança sur le tronc d’un sycomore, y grimpa avec l’agilité d’un acrobate, et disparut dans les branches.

« C’est là qu’il a caché les registres ! » s’écria le bushman, et Mokoum ne se trompait pas.

Cependant, il était à craindre que le chacma ne se sauvât en passant d’un arbre à l’autre. Mais Mokoum, le visant avec calme, fit feu. Le singe, blessé à la jambe, dégringola de branche en branche. Une de ses mains tenait les registres, qu’il avait repris dans une enfourchure de l’arbre. À cette vue, Nicolas Palander, bondissant comme un chamois, se précipita sur le chacma, et une lutte s’engagea !

Quelle lutte ! La colère surexcitait le calculateur. Aux aboiements du singe s’unissaient les hurlements de Palander. Quels cris discordants dans cette mêlée ! On ne savait plus lequel des deux était le singe ou le mathématicien ! On ne pouvait viser le chacma, dans la crainte de blesser l’astronome.

« Tirez ! tirez sur les deux ! » criait Mathieu Strux, hors de lui, et ce Russe exaspéré l’aurait peut-être fait, si son fusil n’eût été déchargé.

Le combat continuait. Nicolas Palander, tantôt dessus, tantôt dessous, essayait d’étrangler son adversaire. Il avait les épaules en sang, car le chacma le lacérait à coups de griffes. Enfin, le bushman, la hache à la main, saisissant un moment favorable, frappa le singe à la tête et le tua du coup.

Nicolas Palander, évanoui, fut relevé par ses compagnons. Sa main pressait sur sa poitrine les deux registres qu’il venait de reconquérir. Le corps du singe fut emporté au campement, et, au repas du soir, les convives y compris leur collègue volé, mangèrent le voleur autant par goût que par vengeance, car la chair en était excellente.