Page:Verne - Vingt mille lieues sous les mers.djvu/254

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

bli par les ordres du calife Omar, il fut définitivement comblé en 761 ou 762 par le calife Al-Mansor, qui voulut empêcher les vivres d’arriver à Mohammed-ben-Abdoallah, révolté contre lui. Pendant l’expédition d’Égypte, votre général Bonaparte retrouva les traces de ces travaux dans le désert de Suez, et, surpris par la marée, il faillit périr quelques heures avant de rejoindre Hadjaroth, là même où Moïse avait campé trois mille trois cents ans avant lui.

— Eh bien, capitaine, ce que les anciens n’avaient osé entreprendre, cette jonction entre les deux mers qui abrégera de neuf mille kilomètres la route de Cadix aux Indes, M. de Lesseps l’a fait, et avant peu, il aura changé l’Afrique en une île immense.

— Oui, monsieur Aronnax, et vous avez le droit d’être fier de votre compatriote. C’est un homme qui honore plus une nation que les plus grands capitaines ! Il a commencé comme tant d’autres par les ennuis et les rebuts, mais il a triomphé, car il a le génie de la volonté. Et il est triste de penser que cette œuvre, qui aurait dû être une œuvre internationale, qui aurait suffi à illustrer un règne, n’aura réussi que par l’énergie d’un seul homme. Donc, honneur à M. de Lesseps !

— Oui, honneur à ce grand citoyen, répondis-je, tout surpris de l’accent avec lequel le capitaine Nemo venait de parler.

— Malheureusement, reprit-il, je ne puis vous conduire à travers ce canal de Suez, mais vous pourrez apercevoir les longues jetées de Port-Saïd après-demain, quand nous serons dans la Méditerranée.

— Dans la Méditerranée ! m’écriai-je.

— Oui, monsieur le professeur. Cela vous étonne ?

— Ce qui m’étonne, c’est de penser que nous y serons après-demain.

— Vraiment ?

— Oui, capitaine, bien que je dusse être habitué à ne m’étonner de rien depuis que je suis à votre bord !

— Mais à quel propos cette surprise ?

— À propos de l’effroyable vitesse que vous serez forcé d’imprimer au Nautilus s’il doit se retrouver après-demain en pleine Méditerranée, ayant fait le tour de l’Afrique et doublé le cap de Bonne-Espérance !

— Et qui vous dit qu’il fera le tour de l’Afrique, monsieur le professeur ? Qui vous parle de doubler le cap de Bonne-Espérance !

— Cependant, à moins que le Nautilus ne navigue en terre ferme et qu’il ne passe par-dessus l’isthme…

— Ou par-dessous, monsieur Aronnax.

— Par-dessous ?

— Sans doute, répondit tranquillement le capitaine Nemo. Depuis long-