Page:Verne - Vingt mille lieues sous les mers.djvu/372

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vions, nous sentions le redressement. Le plancher redevenait horizontal sous nos pieds. Dix minutes s’écoulèrent.

« Enfin, nous sommes droit ! m’écriai-je.

— Oui, dit le capitaine Nemo, se dirigeant vers la porte du salon.

— Mais flotterons-nous ? lui demandai-je.

— Certainement, répondit-il, puisque les réservoirs ne sont pas encore vidés, et que vidés, le Nautilus devra remonter à la surface de la mer. »

Le capitaine sortit, et je vis bientôt que, par ses ordres, on avait arrêté la marche ascensionnelle du Nautilus. En effet, il aurait bientôt heurté la partie inférieure de la banquise, et mieux valait le maintenir entre deux eaux.

« Nous l’avons échappé belle ! dit alors Conseil.

— Oui. Nous pouvions être écrasés entre ces blocs de glace, ou tout au moins emprisonnés. Et alors, faute de pouvoir renouveler l’air… Oui ! nous l’avons échappé belle !

— Si c’est fini ! » murmura Ned Land.

Je ne voulus pas entamer avec le Canadien une discussion sans utilité, et je ne répondis pas. D’ailleurs, les panneaux s’ouvrirent en ce moment, et la lumière extérieure fit irruption à travers la vitre dégagée.

Nous étions en pleine eau, ainsi que je l’ai dit ; mais, à une distance de dix mètres, sur chaque côté du Nautilus, s’élevait une éblouissante muraille de glace. Au-dessus et au-dessous, même muraille. Au-dessus, parce que la surface inférieure de la banquise se développait comme un plafond immense. Au-dessous, parce que le bloc culbuté, ayant glissé peu à peu, avait trouvé sur les murailles latérales deux points d’appui qui le maintenaient dans cette position. Le Nautilus était emprisonné dans un véritable tunnel de glace, d’une largeur de vingt mètres environ, rempli d’une eau tranquille. Il lui était donc facile d’en sortir en marchant soit en avant soit en arrière, et de reprendre ensuite, à quelques centaines de mètres plus bas, un libre passage sous la banquise.

Le plafond lumineux avait été éteint, et cependant, le salon resplendissait d’une lumière intense. C’est que la puissante réverbération des parois de glace y renvoyait violemment les nappes du fanal. Je ne saurais peindre l’effet des rayons voltaïques sur ces grands blocs capricieusement découpés, dont chaque angle, chaque arête, chaque facette, jetait une lueur différente, suivant la nature des veines qui couraient dans la glace. Mine éblouissante de gemmes, et particulièrement de saphirs qui croisaient leurs jets bleus avec le jet vert des émeraudes. Çà et là des nuances opalines d’une douceur infinie couraient au milieu de points ardents comme autant de diamants de feu dont l’œil ne pouvait soutenir l’éclat. La