Page:Verne - Vingt mille lieues sous les mers.djvu/398

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et pesant six cents livres, la nageoire pectorale triangulaire, le milieu du dos un peu bombé, les yeux fixés aux extrémités de la face antérieure de la tête, et qui, flottant comme une épave de navire, s’appliquaient parfois comme un opaque volet sur notre vitre. C’étaient des balistes américains pour lesquels la nature n’a broyé que du blanc et du noir, des gobies plumiers, allongés et charnus, aux nageoires jaunes, à la mâchoire proéminente, des scombres de seize décimètres, à dents courtes et aiguës, couverts de petites écailles, appartenant à l’espèce des albicores. Puis, par nuées, apparaissent des surmulets, corsetés de raies d’or de la tête à la queue, agitant leurs resplendissantes nageoires ; véritables chefs-d’œuvre de bijouterie consacrés autrefois à Diane, particulièrement recherchés des riches Romains, et dont le proverbe disait : « Ne les mange pas qui les prend ! » Enfin, des pomacanthes-dorés, ornés de bandelettes émeraude, habillés de velours et de soie, passaient devant nos yeux comme des seigneurs de Véronèse ; des spares-éperonnés se dérobaient sous leur rapide nageoire thoracine ; des clupanodons de quinze pouces s’enveloppaient de leurs lueurs phosphorescentes ; des muges battaient la mer de leur grosse queue charnue ; des corégones rouges semblaient faucher les flots avec leur pectorale tranchante, et des sélènes argentées, dignes de leur nom, se levaient sur l’horizon des eaux comme autant de lunes aux reflets blanchâtres.

Que d’autres échantillons merveilleux et nouveaux j’eusse encore observés, si le Nautilus ne se fût peu à peu abaissé vers les couches profondes ! Ses plans inclinés l’entraînèrent jusqu’à des fonds de deux mille et trois mille cinq cents mètres. Alors la vie animale n’était plus représentée que par des encrines, des étoiles de mer, de charmantes pentacrines tête de méduse, dont la tige droite supportait un petit calice, des troques, des quenottes sanglantes et des fissurelles, mollusques littoraux de grande espèce.

Le 20 avril, nous étions remontés à une hauteur moyenne de quinze cents mètres. La terre la plus rapprochée était alors cet archipel des îles Lucayes, disséminées comme un tas de pavés à la surface des eaux. Là s’élevaient de hautes falaises sous-marines, murailles droites faites de blocs frustes disposés par larges assises, entre lesquels se creusaient des trous noirs que nos rayons électriques n’éclairaient pas jusqu’au fond.

Ces roches étaient tapissés de grandes herbes, de laminaires géants, de fucus gigantesques, un véritable espalier d’hydrophytes digne d’un monde de Titans.

De ces plantes colossales dont nous parlions, Conseil, Ned et moi, nous fûmes naturellement amenés à citer les animaux gigantesques de la mer.