Page:Verne - Voyage au centre de la Terre.djvu/46

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la situation. Pendant quelques instants elle garda le silence. Son cœur palpitait-il à l’égal du mien ? Je l’ignore, mais sa main ne tremblait pas dans la mienne. Nous fîmes une centaine de pas sans parler.

« Axel ! me dit-elle enfin.

— Ma chère Graüben !

— Ce sera là un beau voyage. »

Je bondis à ces mots.

« Oui, Axel, un voyage digne du neveu d’un savant. Il est bien qu’un homme se soit distingué par quelque grande entreprise !

— Quoi ! Graüben, tu ne me détournes pas de tenter une pareille expédition ?

— Non, cher Axel, et ton oncle et toi, je vous accompagnerais volontiers, si une pauvre fille ne devait être un embarras pour vous.

— Dis-tu vrai ?

— Je dis vrai. »

Ah ! femmes, jeunes filles, cœurs féminins toujours incompréhensibles ! Quand vous n’êtes pas les plus timides des êtres, vous en êtes les plus braves ! La raison n’a que faire auprès de vous. Quoi ! cette enfant m’encourageait à prendre part à cette expédition ! elle n’eût pas craint de tenter l’aventure ! Elle m’y poussait, moi qu’elle aimait cependant !

J’étais déconcerté, et, pourquoi ne pas le dire ? honteux.

« Graüben, repris-je, nous verrons si demain tu parleras de cette manière.

— Demain, cher Axel, je parlerai comme aujourd’hui. »

Graüben et moi, nous tenant par la main, mais gardant un profond silence, nous continuâmes notre chemin. J’étais brisé par les émotions de la journée.

« Après tout, pensai-je, les calendes de juillet sont encore loin, et, d’ici là, bien des événements se passeront qui guériront mon oncle de sa manie de voyager sous terre. »

La nuit était venue quand nous arrivâmes à la maison de Königstrasse. Je m’attendais à trouver la demeure tranquille, mon oncle couché suivant son habitude, et la bonne Marthe donnant à la salle à manger le dernier coup de plumeau du soir. Mais j’avais compté sans l’impatience du professeur. Je le trouvai criant, s’agitant au milieu d’une troupe de porteurs qui déchargeaient certaines marchandises dans l’allée ; la vieille servante ne savait où donner de la tête.

« Mais viens donc, Axel ; hâte-toi donc, malheureux ! s’écria mon oncle du plus loin qu’il m’aperçut. Et ta malle qui n’est pas faite, et mes papiers qui ne sont pas en ordre, et mon sac de voyage dont je ne trouve pas la clef, et mes guêtres qui n’arrivent pas ! »