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que cela ? dit-elle, — et d’une épine elle perce les deux yeux de l’anachorète. Tchyavana profère contre l’armée du roi une malédiction qu’il ne consent à retirer que sur le don de la main de Sukanya. Elle vit avec lui dans la solitude, épouse fidèle. Un jour les Açvins[1] la rencontrent, la plaignent d’avoir épousé un vieillard, lui offrent leur amour, mais en vain. Alors ils lui disent : — Nous sommes les médecins des dieux ; nous allons donner à ton époux la jeunesse et la beauté, puis tu choisiras de nous trois celui que tu voudras. — Tchyavana accepte. Sur l’ordre des dieux, il entre avec eux dans le lac. Tous trois en sortent bientôt, divinement beaux et jeunes. Et tous trois disent à la jeune femme : — Choisis l’un de nous. — Mais elle, les voyant tous trois pareils, demeure muette et pensive. Enfin, guidée par son cœur, c’est son mari qu’elle choisit.

« Parmi les nombreuses variations qu’a inspirées le thème de la fontaine de Jouvence, écrit M. Victor Henry, je n’en sais pas de plus poétiquement touchante. Quand les Hindous, si crus en matière d’amour, parlent de l’amour conjugal, ils y déploient des raffinements de délicatesse qu’aucune littérature n’a dépassés[2]. »

La suite de l’histoire était donc bien jolie. Mais c’est le début qui a intéressé Leconte de Lisle : l’anachorète si profondément plongé dans son rêve que, sans s’en apercevoir, « il devient une fourmilière ».

Que pouvait-on imaginer pour porter à son comble le

  1. Le Castor et le Pollux de la mythologie indienne.
  2. Victor Henry, Les littératures de l’Inde, p. 152.