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Qu’est-ce que le poète français a fait de cette histoire ?

L’immolation que Çunacépa (ainsi le nom est-il orthographié chez Leconte de Lisle) fait de sa vie à ce qu’il croit être son devoir serait plus émouvante si, dans son cœur, comme dans celui de Rama, l’honneur était aux prises avec l’amour. Mais pourquoi ne pas l’y mettre ? La légende de Çunacépa n’est pas de celles où l’on ne puisse toucher. Et quoi de plus naturel que de prêter une passion à un jeune homme ? Par une heureuse invention, Leconte de Lisle a donc donné une fiancée à Çunacépa. Il l’a appelée Çanta, nom qu’il a pris dans le Ramayana, où c’était celui d’une fille de Daçaratha ; et dans la scène des adieux de Çunacépa et de Çanta, il n’a point copié sans doute la scène des adieux de Rama et de Sita, dont j’ai cité plus haut quelques fragments, mais il a réussi à faire passer tout ce qu’avait de tendresse ce touchant épisode.

Avant d’être sacrifié, le jeune homme demande un jour de vie. On le lui accorde, et il va le passer avec sa bien-aimée. Çanta voit sa tristesse, en demande la cause, proteste de son amour : « Souviens-toi que je t’aime plus que mon père et plus que ma mère elle-même. » — C’est le mot que Sita dit à Rama dans la scène que nous citions tout à l’heure. — Çunacépa conte comment il a été vendu pour être sacrifié. La jeune fille, révoltée, propose à son bien-aimé de fuir avec elle : elle connaît les sentiers mystérieux qui conduisent aux montagnes prochaines ; sans doute les tigres rayés y rôdent par centaines,


Mais le tigre vaut mieux que l’homme au cœur de fer.


Çunacépa la regarde, éperdu d’amour ; jamais il ne l’a vue