Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/95

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poète sous la main, assurément j’aurais fait des vers. Mais depuis près de deux ans je n’ouvrais plus aucun livre, excepté, et encore bien rarement, quelques romans français, et deux ou trois volumes de la prose de Voltaire, qui faisaient mes délices. En allant à Gènes, je ressentis une joie suprême à revoir ma mère et ma ville natale, que j’avais quittées depuis sept ans, et à cet âge ce sont des siècles.

A mon retour de Gènes, il me semblait que je venais de faire une grande chose, et que j’avais beaucoup vu. Mais si je m’en faisais accroire sur ce voyage avec mes amis du dehors (quoique jamais il ne m’arrivât de le leur laisser voir, de peur de les humilier), en revanche, après, je me sentais furieux et rapetissé devant mes camarades de l’Académie, qui tous venaient de pays éloignés, tels que l’Angleterre, l’Allemagne, la Russie, la Pologne, etc. Mon voyage de Gènes n’était pour eux qu’un enfantillage , et ils avaient raison. Cela me donnait une envie effrénée de voyager, et de voir par moi-même le pays de tous ces gens-là.

1766. Cette oisiveté et cette dissipation continuelles me firent trouver courts les derniers dix-huit mois que je passai dans le premier appartement. Comme dès l’année où j’y étais entré, je m’étais fait inscrire sur la liste de ceux qui demandaient de l’emploi dans l’armée, trois ans s’étant écoulés au mois de mai 1766, je finis par être compris dans une promotion générale, dont faisaient partie avec moi environ cent cinquante jeunes gens. Depuis plus d’un an, l’ardeur de ma vocation militaire s’était