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LIVRE II. — CHAPITRE I.

contester ces deux points, et il ne paraît pas possible de nier que la philosophie d’Arcésilas, par ses origines, se rattache à celle de Platon bien plutôt qu’à celle de Pyrrhon.[1]

Si les considérations que nous avons présentées dans le livre précédent sur le caractère du pyrrhonisme primitif sont exactes, peut-être faudrait-il se ranger à l’avis de Cicéron et dire sinon qu’Arcésilas a le premier donné à la doctrine de la suspension du jugement sa formule précise, du moins que, le premier, il l’a justifiée dialectiquement. Pyrrhon pratiquait le scepticisme plutôt qu’il n’argumentait en sa faveur : il avait horreur des discussions subtiles. Arcésilas, au contraire, y excellait et s’y complaisait. C’est peut-être pour ce motif que Timon l’a si vivement combattu ; c’est à propos de son goût pour les disputes qu’il le raille le plus durement, et probablement il était moins sensible à l’analogie des doctrines qu’à la différence dans la manière de les défendre.

Sur deux points surtout, Arcésilas diffère de son célèbre contemporain. Pyrrhon et les premiers sceptiques, comme le prouvent les dix tropes dont ils se servaient, insistaient surtout sur les contradictions des données sensibles, des mœurs, des croyances ; ils procédaient en empiristes. Arcésilas et ceux de la nouvelle Académie s’élèvent surtout contre la prétention stoïcienne de trouver dans les données sensibles la marque infaillible de la vérité ; ils procèdent en dialecticiens. Ce ne sont plus les

  1. Hinel (op. cit., p. 36), qui soutient la même thèse que nous indiquons ici, nous paraît exagérer quand il rattache Arcésilas à Socrate plutôt qu’à Platon. Le fait que quelques nouveaux académiciens ont dû combattre Platon, comme le fit Carnéade en parlant contre la justice (Cic., Rep., III, 12), ne saurait servir de preuve, puisque, sur cette question de la justice, Socrate était d’accord avec Platon. Si, dans les textes de Cicéron, le nom de Socrate est plus souvent joint à celui d’Arcésilas que celui de Platon, cela tient à ce que Socrate était l’inventeur de la méthode d’interrogation pratiquée aussi par Platon, et à ce que les formules dubitatives de Socrate étaient plus nettes que celles de Platon. Qu’Arcésilas n’ait pas fait, sous ce rapport, de différence essentielle entre Socrate et Platon, c’est ce que prouve le passage de Cicéron (De Orat., III, xviii, 67) : « Arcecilas… ex variis Platonis libris sermonibusque Socraticis hoc maxime arripuit, nihii esse certi… » (Cf. Ac., I, xii, 46.) Arcésilas se rattachait à Socrate, mais par Platon.