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ARCÉSILAS.

tion et l’immobilité absolues sont incompatibles avec les tendances les plus naturelles de l’homme el les exigences les plus pressantes de la vie. On ne peut éviter de se prononcer sur les choses de la vie pratique, et refuser de se décider, ce serait encore se décider. Une philosophie qui aurait recommandé à ses adeptes de demeurer incertains et irrésolus, de se laisser porter par les événements, comme les feuilles mortes sont le jouet du vent, était d’avance vouée au ridicule : moins que personne, des Grecs, des Athéniens ne pouvaient s’en contenter. D’ailleurs, au temps d’Arcésilas, ce qu’on demandait avant tout à la philosophie, c’était une règle de conduite : la question n’était pas de savoir s’il faut agir, mais comment il faut agir. C’était là le but et la raison d’être des systèmes : la logique et la physique n’étaient que le vestibule de la morale. On pouvait, à la rigueur, se passer du vestibule, pourvu qu’on eût l’essentiel, mais renoncer à la morale, c’était renoncer à la philosophie.

C’est ici que les stoïciens attendaient Arcésilas et que vraisemblablement ils reprenaient l’avantage. Ils tenaient en réserve, comme ultima ratio, un argument qui devait décider de la victoire en leur faveur, alors même que leur défense obstinée de la représentation compréhensive n’aurait pas satisfait tout le monde. L’action, disaient-ils, et à plus forte raison la vertu, sont impossibles à qui n’a point de croyances. La sensation et l’instinct ne suffisent pas à la vie de l’homme. Agir, c’est se décider. Quel homme se décidera sans savoir si le parti qu’il prend est convenable ou non à sa nature, avantageux ou nuisible, bon ou mauvais ? Cicéron[1], lorsqu’il fait parler les stoïciens, insiste longuement sur cet argument, et Plutarque[2] nous apprend que les stoïciens s’en servaient comme d’un épouvantail dont ils menaçaient leurs adversaires sceptiques.

Nous ne pouvons, à la vérité, affirmer qu’au temps d’Arcésilas ils avaient donné à cette argumentation tout le développe-

  1. Ac., II, vii, 22 et seq. ; xii, 39.
  2. Adv. Colot., 26.