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INTRODUCTION. — CHAPITRE I.

Enfin le doute lui-même n’est pas le scepticisme. C’est du doute seulement qu’on pourrait dire qu’il est à peu près contemporain de la pensée humaine ; car, pour un esprit qui réfléchit, la découverte de la première erreur suffit à inspirer une certaine défiance de soi ; et combien de temps a-t-il fallu à des esprits un peu attentifs pour s’apercevoir qu’ils s’étaient plus d’une fois trompés ?

L’usage de la langue autorise peut-être à employer le mot scepticisme pour désigner l’état d’un esprit non seulement qui doute, mais qui doute de propos délibéré, pour des raisons générales scientifiquement déterminées. Encore n’est-ce pas là sa signification véritable et définitive ; car, à ce compte, quel philosophe ne serait un sceptique ? La philosophie, en tant qu’elle se distingue du sens commun et s’élève au-dessus de lui, conteste toujours quelques-unes de ses manières de voir, récuse quelques-unes de ses raisons de croire ; en un sens, il y a du scepticisme en toute philosophie. Le vrai sceptique n’est pas celui qui doute de propos délibéré et qui réfléchit sur son doute ; ce n’est pas même celui qui ne croit à rien et affirme que rien n’est vrai, autre signification du mot qui a donné lieu à bien des équivoques : c’est celui qui de propos délibéré et pour des raisons générales doute de tout, excepté des phénomènes, et s’en tient au doute.

Mais de ces trois formes de scepticisme, on admettra sans peine que la première précède naturellement les deux autres et y conduit. Cette sorte de scepticisme, fort improprement nommée, qui consiste à douter sciemment de plusieurs choses, est l’antécédent naturel de ce scepticisme qui nie toute vérité. Et le scepticisme qui nie toute vérité, en vertu de la disposition de l’esprit humain à aller toujours d’un extrême à l’autre, comme un pendule qui ne trouve pas du premier coup son point d’équilibre, précède aussi ce scepticisme qui ne sait pas si quelque chose est vrai et n’affirme rien au delà des apparences.

Les deux premières formes du scepticisme peuvent donc être considérées comme les germes du véritable scepticisme. Dans