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LIVRE II. — CHAPITRE II.

peut justifier par de bonnes raisons, qui s’accordent entre elles, et forment un ensemble bien lié. C’est une idée stoïcienne, comme la forme de raisonnement adoptée par Arcésilas. De même aussi le mot ϰατόρθωμα est fréquemment usité dans la terminologie stoïcienne. De tous ces faits il semble résulter qu’au moins en morale les stoïciens avaient arraché à leur redoutable adversaire d’importantes concessions. Il ne paraît pas d’ailleurs qu’Arcésilas se soit étendu volontiers sur les questions de cet ordre : car Cicéron ne mentionne pas une seule fois ses opinions sur cet important sujet.

Il va de soi que malgré ces concessions au stoïcisme, Arcésilas ne peut pas plus être considéré comme un dogmatiste que les pyrrhoniens eux-mêmes ; car ces derniers reconnaissaient aussi un criterium pratique. D’ailleurs, comme il ne s’agit ici que de l’accord subjectif des représentations, Arcésilas continue à ne rien affirmer hors de lui.

Il y a pourtant quelques différences entre le fondateur de la nouvelle Académie et les pyrrhoniens. D’abord Arcésilas n’assignait pas pour fin dernière de la conduite l’adiaphorie ni l’ataraxie ; il s’en tenait à la suspension du jugement ; Sextus[1] marque assez nettement cette différence. En outre, tandis que les purs pyrrhoniens demandaient à la raison une entière abdication, et se soumettaient aveuglément à la coutume et aux lois établies, Arcésilas prend la raison pour juge en chaque cas particulier ; par là, on peut dire qu’il s’élève fort au-dessus du pyrrhonisme ; il garde quelque chose de la tradition socratique et platonicienne. Il est au total aussi sceptique que Timon ; mais son scepticisme est celui d’un homme instruit et éclairé ; il reste philosophe dans le scepticisme, au lieu que les purs pyrrhoniens renonçaient jusqu’au nom de philosophes.

III. Jusqu’ici, rien dans les doctrines d’Arcésilas, sauf le dernier point que nous venons d’indiquer, ne peut nous faire

  1. P., I, 232 : Καὶ τέλος μὲν εἶναι τὴν ἐποχὴν, ᾖ συνεισέρχεσθαι τὴν ἀταραξίαν ἡμεῖς ἐφάσϰομεν.