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LIVRE II. — CHAPITRE III.

En outre, rendons-nous compte de ce que doit être un critérium[1]. Il ne peut être qu’un état de l’âme (πάθος) produit par l’évidence (ἀπὸ τῆς ἐναργείας). C’est par la puissance de sentir que l’être vivant diffère des choses inanimées, c’est par elle seule qu’il pourra connaître et lui-même et ce qui est hors de lui. Pour cela, il faut un changement, car s’il demeure immobile et impassible, le sens n’est plus un sens, et il ne perçoit rien. Cet état de l’âme doit, en même temps qu’il se fait connaître lui-même, faire connaître l’objet qui l’a produit : cet état n’est autre que la représentation (φαντασία) ; comme la lumière, elle se révèle elle-même à nos yeux en même temps que l’objet qu’elle représente. Le critérium, s’il existe, doit donc être une représentation vraie, c’est-à-dire qui révèle l’objet qui la provoque.

Y a-t-il maintenant des représentations vraies ? Carnéade le nie. Pour que la représentation produite par un objet réel fût reconnue avec certitude, il faudrait qu’il y eût entre elle et la représentation fausse une différence spécifique : il faudrait que l’une ne pût jamais être prise pour l’autre. Or, il n’y a point de représentation vraie à côté de laquelle il ne s’en trouve une autre qui n’en diffère en aucune manière, tout en étant fausse[2]. Voilà le point capital sur lequel portait le débat entre la nouvelle Académie et ses contradicteurs.

La thèse des académiciens est résumée par Cicéron[3] dans ces quatre propositions : 1o il y a des représentations fausses ; 2o elles ne donnent pas lieu à une connaissance certaine ; 3o si des représentations n’offrent entre elles aucune différence, il est impossible de dire que les unes soient certaines, les autres non ; 4o il n’y a pas de représentation vraie à côté de laquelle il ne s’en trouve une fausse qui n’en diffère en aucune manière. La deuxième et la troisième propositions sont accordées par tout le

  1. Sext., M., VII, 159.
  2. Cic., Ac., II, xiii, 41 : « Omne visum quod sit a vero tale esse quale etiam a falso possit esse. » Cf. ibid., xxxi, 99 : « Teneatur modo illud, non inesse in his quidquam tale quale non etiam falsum nihil ab eo differens esse possit. »
  3. Ibid., II, xxvi, 83.