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CARNÉADE. — EXAMEN CRITIQUE.

CHAPITRE IV.

CARNÉADE. — EXAMEN CRITIQUE.


Carnéade n’a pas bonne réputation. L’histoire l’a fort maltraité. La plupart des historiens modernes le regardent comme un sophiste sans conviction et sans vergogne, pareil à ceux dont Platon nous a laissé le portrait peu flatté. Ses idées ont naturellement été frappées du même discrédit. On veut bien lui reconnaître quelque esprit ; on ne le prend pas très au sérieux, et on ne lui fait guère l’honneur de le discuter : quelques lignes dédaigneuses suffisent pour lui dire son fait et le remettre à sa place. Cette exécution sommaire n’a pas lieu de surprendre, si on songe que l’histoire de la philosophie a presque toujours été écrite par des dogmatistes naturellement prévenus contre ceux qui n’entendent pas la certitude comme eux, et, en France surtout, plus enclins à réfuter qu’à expliquer, à critiquer qu’à comprendre. Aussi n’est-ce pas une tâche aisée d’essayer de juger impartialement Carnéade et son œuvre ; il est pourtant nécessaire de l’entreprendre.


I. L’origine de toutes les accusations contre Carnéade est sa fameuse ambassade à Rome où, en deux jours, il parla tour à tour pour et contre la justice. N’était-ce pas donner une publique leçon d’immoralité, et pourra-t-on juger assez sévèrement l’audacieux qui s’est joué ainsi des sentiments et des idées les plus respectables ? Aussi flétrir Carnéade est devenu un lieu commun ; et peu s’en faut qu’on n’ait déclaré que l’apparition de la philosophie à Rome a marqué le commencement de la corruption romaine.

Que la condamnation prononcée contre Carnéade soit au