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LIVRE II — CHAPITRE V.

différences entre Philon et Carnéade ? Il a pu être un adversaire moins tranchant[1] un interlocuteur plus conciliant ; il était sur le fond d’accord avec ses prédécesseurs immédiats.

Il faut donc écarter la thèse de Hermann. Philon n’a pas été un dogmatiste platonicien. Il a pourtant professé une sorte de dogmatisme : Sextus le déclare formellement, Numénius l’assure, et Cicéron, on va le voir, ne le nie pas. Il a cru à l’existence de la vérité, mais la vérité n’est connue ni par les sens, ni par la raison. Comment donc l’est-elle ? Et que répondait Philon à cette question ?

Il ne répondait rien, et cela par la raison fort simple que, selon lui, la vérité n’est jamais connue avec certitude. Elle existe, elle est peut-être connue, mais nous ne sommes jamais sûrs de la posséder. Il manque toujours le signe infaillible auquel nous la reconnaîtrions[2]. En elles-mêmes (φύσει), les choses peuvent être connues ; elles sont, en ce sens, compréhensibles[3] ; mais, en fait, nous ne pouvons distinguer le vrai du faux. Autre chose[4] est la nature du vrai, autre chose la connaissance. La connaissance, toujours possible, n’est jamais certaine[5].

Une pareille thèse peut nous paraître singulière ; nous sommes habitués à prendre les mots de vérité et de certitude pour synonymes, et nous ne concevons guère que l’une puisse exister sans l’autre. Voici, croyons-nous, comment Philon a été amené à soutenir ce paradoxe.

Après avoir fidèlement suivi la doctrine de Carnéade et de Clitomaque, Philon fut un jour profondément troublé par une

  1. Cic., Ac., II, iv, 12.
  2. Cic., Ac., II, xxxii, 104.
  3. Sext., P., I, 235.
  4. Cic., Ac., II, xviii, 58.
  5. Cicéron dit à plusieurs reprises (II, xi, 33 ; xxxv, 112) que la définition stoïcienne de la représentation compréhensive peut être acceptée, pourvu qu’on n’ajoute pas : quomodo imprimi non posset a falso ; c’est la pensée de Philon, tout à fait pareille à celle que Sextus (M., VII, 402) attribue à Carnéade. Cf. Euseb. Præp. evang., XIV, vii, 15 : Διαφορὰν δ’ εἶναι ἀδήλου καὶ ἀκαταλήπτου, καὶ πάντα μὲν εἶναι ἀκατάληπτα, οὐ πάντα δὲ ἄδηλα, Cicéron d’ailleurs, dans Lucullus, expose cette théorie comme étant celle de Carnéade.