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LIVRE II — CHAPITRE V.

et il faut l’essayer[1]. « Nous ne renonçons pas par fatigue à la poursuite de la vérité : toutes nos discussions n’ont d’autre but, en mettant aux prises des opinions contraires, que d’en faire sortir, d’en faire jaillir une étincelle de vérité ou quelque chose qui en approche. » Il jure ses grands dieux qu’il est plein d’ardeur pour ia recherche de la vérité[2]. Même dans les sciences physiques, si incertaines, il sait quelle joie on éprouve à s’élever au-dessus des apparences vulgaires, à tenter de pénétrer les secrets de la nature et à découvrir une explication, ne fût-elle que vraisemblable[3]. C’est ainsi que, plus tard, les nouveaux sceptiques diront que peut-être la vérité existe, qu’il n’est pas impossible qu’on la découvre un jour, qu’il ne faut décourager personne. En attendant, elle n’est pas trouvée.

Au surplus, disait encore Cicéron[4], la simple probabilité n’est point tant à dédaigner. Il y a bien des cas où le sage lui-même s’en contente. Fait-il autre chose quand il monte sur un vaisseau, quand il fait des plantations[5], quand il se marie, quand il a des enfants ? A-t-il, en toutes ces circonstances, la certitude absolue et inébranlable dont se targue le stoïcien ? On affirme sans hésiter que le soleil est dix-huit fois plus grand que la terre ; est-ce une chose qu’on ait comprise ou perçue[6] ?

Si cette interprétation est exacte, peut-on dire que Philon ait fait quelque concession au dogmatisme et qu’il soit, à quelque degré, éclectique ? La réponse à cette question dépend de ce qu’on entend par dogmatisme. On est sans doute dogmatiste quand on admet l’existence de la vérité. L’est-on encore quand on ajoute que nous ne sommes jamais sûrs de la posséder ? C’est ce qu’on appelle d’ordinaire le scepticisme, et quand on accorde la possibilité de se rapprocher du vrai, ou même de l’atteindre sans le savoir, on est probabiliste. Philon n’est ni plus ni moins

  1. Cic., Ac., II, iii, 7.
  2. Ac., II, xx, 65.
  3. Ac., II, xli, 127.
  4. Ac., II, xxxi, 99.
  5. Ac., II, xxxiv, 109.
  6. Ac., II, xli, 128.