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LIVRE II. — CHAPITRE V.

faveur desquelles on peut invoquer des raisons plausibles ? On comprend que des dialecticiens subtils qui passaient leur vie à discuter avec des adversaires retors, aient évité de se prononcer publiquement sur ce sujet : se prononcer, c’était donner prise sur soi, c’était renoncer à cette position si avantageuse de gens qui, n’ayant rien à défendre, sont toujours prêts pour l’attaque, chose plus facile, comme chacun sait. De là, leur réponse aux questions indiscrètes sur leurs mystères[1] : Non solemus ostendere. Mais dans l’intimité de l’école, avec des disciples[2] choisis et privilégiés, ils n’avaient plus les mêmes raisons de se tenir sur la réserve ; ils n’avaient plus d’attitude à observer. C’est là probablement qu’ils disaient ce qui leur paraissait vraisemblable, et ce qu’en réalité ils croyaient. Mais même alors, on peut croire qu’ils ne prenaient pas un ton dogmatique. Ils proposaient leurs opinions à leurs disciples, ils n’imposaient rien. Ils donnaient leurs raisons, et laissaient à leurs auditeurs le soin et la liberté de conclure. Ils étaient en cela conséquents avec eux-mêmes. Nous voyons, par un passage de Cicéron[3] que leur souci était de faire triompher non l’autorité, mais la raison. Ce respect de la liberté et de la conscience individuelle paraît bien rare dans les autres écoles ; c’est un caractère propre aux nouveaux académiciens. Ces excellents philosophes ont été les esprits les plus libéraux et les plus modérés de leur temps.

En tout cas, il n’y a pas, dans l’obscur passage de Cicéron, de raisons pour leur prêter des dessous ténébreux, ou des pensées de derrière la tête. Saint Augustin s’est trompé quand il a cru qu’ils tenaient soigneusement caché le trésor des dogmes platoniciens. On voit quel est le malentendu qui a donné naissance à la tradition, ou plutôt à la légende dont il s’est fait l’écho.

En résumé, Philon est toujours resté le fidèle disciple de Carnéade. Zeller se trompe, ou du moins il force la note, lorsqu’il

  1. Cic., Ac., II, xviii, 60.
  2. Cf. Sext., P., I, 234. August., Contra academic., II, xiii, 29 ; III, xvii, 38.
  3. Cic., Ac., II, xviii, 60 : « Ut, qui audient, ratione potius quam auctoritate ducantur.