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INTRODUCTION. — CHAPITRE I.

certitude scientifique[1] : les sceptiques se donneront plus tard la même tâche, en l’élargissant et en l’étendant à toutes les sciences (ἐγκύκλια μαθήματα). De même, par une conséquence directe de sa célèbre maxime, Protagoras déclare que sur tout sujet, on peut opposer deux assertions contraires[2] : c’est la première forme de cette isosthénie des sceptiques, qui, opposant sur chaque question deux thèses contraires qui se font équilibre, se déclarent dans l’impossibilité de prononcer. Les nouveaux académiciens s’exerceront aussi à plaider partout le pour et le contre. S’il y a du scepticisme dans l’éristique des sophistes, on verra plus loin qu’il y a bien aussi de l’éristique dans le scepticisme.

Dans les questions de morale, Protagoras et Gorgias demeurent encore attachés aux anciennes traditions. D’autres sophistes, à l’exemple d’Hippias, opposent le droit naturel au droit écrit, fondé uniquement sur la coutume : c’est la thèse que reprendront plus tard Pyrrhon et Carnéade. Et ils préparent encore la voie à Carnéade, lorsque, pour attaquer la religion populaire, ils insistent sur la diversité des religions, et avec Prodicus, expliquent que les premiers hommes ont divinisé tout ce qui leur était utile.

Toutefois, à côté des analogies, il y a des différences essentielles : la sophistique ressemble au scepticisme comme l’ébauche à l’œuvre achevée, comme la figure de l’enfant à celle de l’homme fait. D’abord, comme l’indique Sextus Empiricus[3], qui a pris soin de noter quelques-unes de ces différences, la sophistique est conduite à une conclusion dogmatique que récuse le pyrrhonisme ; celui-ci ne dit pas que tout est vrai ni que rien n’est vrai : il dit qu’il n’en sait rien. Au fond, il n’y a peut-être pas grande différence : au moins la position prise par le scepticisme est plus facile à défendre et plus habilement choisie. De plus, c’est sur une base dogmatique que reposent

  1. Diog., IX, 55. Cf. Zeller, op. cit., p. 507.
  2. Diog., IX, 51.
  3. P., I, 216 et seq.