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LIVRE III. — CHAPITRE III.

qu’il plaît aux dogmatistes de le dire ; les sceptiques prennent plaisir à énumérer les mérites du chien. Non seulement il a des sens supérieurs aux nôtres, mais il sait choisir ce qui lui est utile ; il a des vertus qui règlent ses passions, il connaît l’art de la chasse, il est capable de justice, même il n’est pas étranger à la dialectique.

2o  Les différences entre les hommes. – Accordons cependant que les hommes sont supérieurs aux animaux. Il y a entre eux de telles différences qu’on sera encore dans impossibilité de décider où est la vérité. Les corps diffèrent par la figure et le tempérament : on a vu une femme d’Athènes boire trente drachmes de ciguë sans en être incommodée. Démophon, serviteur d’Alexandre, avait froid au soleil où dans un bain, chaud à l’ombre. Les esprits ne diffèrent pas moins : les uns aiment la vie active, les autres le repos : tous les poètes ont signalé ces oppositions. Entre tant d’apparences diverses, comment choisir ? Se rapporter au plus grand nombre ? Mais nous ne connaissons pas tous les hommes, et ce que la majorité pense ici, elle ne le pense plus là-bas. Il vaut mieux ne pas choisir et ne rien affirmer.

3o  La diversité des sens. – Dira-t-on que, pour échapper à cette difficulté, il faut s’en rapporter à un seul homme pris pour juge, le sage idéal du stoïcien par exemple ? Il sera tout aussi embarrassé de se décider, trouvant entre les différents sens une nouvelle diversité. Une peinture a du relief pour les yeux et n’en a pas pour le toucher. Un parfum agréable à l’odorat blesse le goût. L’eau de pluie, bonne pour les yeux, enroue et incommode le poumon. Qui sait si les qualités des choses ne dépendent pas uniquement de la diversité de nos organes ? Une pomme n’a peut-être qu’une seule qualité ; peut-être en a-t-elle plus que nous n’en connaissons : nous pouvons les ignorer comme l’aveugle ignore les couleurs. Donc, ici encore, nous ne voyons que l’apparence, non la réalité.

4o  Les circonstances (περιστάσεις). – Sous ce nom, le scep-