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LIVRE III. — CHAPITRE III.

Voici ces huit tropes[1] : 1o  Recourir à une cause qui n’est pas évidente et qui n’est pas attestée par une autre chose qu’on puisse appeler évidente ; 2o  Ayant à choisir entre plusieurs bonnes raisons également plausibles, s’arrêter arbitrairement à une seule ; 3o  Les choses se passant suivant un ordre régulier, invoquer des causes qui ne rendent pas compte de cet ordre ; 4o  Supposer que les choses qu’on ne voit pas se fassent comme des choses qu’on voit, quoiqu’elles puissent aussi se faire autrement ; 5o  Rendre compte de toutes choses, ainsi que l’ont fait la plupart des philosophes, à l’aide des éléments qu’on a imaginés, au lieu de suivre les notions communes avouées par tout le monde ; 6o  Ne tenir compte, comme le font beaucoup de philosophes, que des causes conformes à ses propres hypothèses et passer sous silence celles qui y sont contraires, quoiqu’elles soient aussi probables ; 7o  Invoquer des causes qui sont contraires non seulement aux apparences, mais même aux principes qu’on a adoptés ; 8o  Pour expliquer des choses douteuses, se servir de causes également douteuses.

Il peut arriver enfin, remarque Ænésidème, que les philosophes se trompent en indiquant des causes de plusieurs autres manières qui se rattachent à celles qu’on vient d’indiquer.


3o  Des signes. — S’il est impossible de connaître directement les causes, et par elles d’expliquer les effets, de descendre

  1. Fabricius (Ad Sextum, P., I, 180) les explique par des exemples ingénieusement choisis : 1o  Expliquer, comme les pythagoriciens, la distance des planètes par une proportion musicale ; 2o  Expliquer le débordement annuel du Nil par la fonte des neiges, alors qu’il peut y avoir d’autres causes, comme les pluies, le vent, le soleil ; 3o  Expliquer le mouvement des astres par une pression mutuelle qui ne rend aucunement compte de l’ordre qui y règne ; 3o  Expliquer la vision de la même manière que l’apparition des images dans une chambre noire ; 5o  Expliquer le monde par les atomes, comme Épicure, ou par les homœoméries, comme Anaxagore, ou par la matière et la forme, comme Aristote ; 6o  Expliquer les comètes, comme Aristote, par l’assemblage des vapeurs venues de la terre, parce que cette théorie concorde avec ses idées sur l’ensemble de l’univers ; 7o  Admettre, comme Épicure, un clinamen incompatible avec la nécessité que cependant il proclame ; 8o  Expliquer la montée de la sève par l’attraction, parce que l’éponge attire l’eau, fait qui est pourtant contesté par quelques-uns.