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ÆNÉSIDÈME. — HÉRACLITÉISME.

d’Héraclite, et qu’en habituant l’esprit à voir que les contraires apparaissent ensemble dans les phénomènes, il le prépare à comprendre qu’ils sont unis dans la réalité.

Non seulement on nous dit qu’Ænésidème se rattachait à Héraclite, mais on nous indique nettement sur quels points cet accord s’était établi.

Ænésidème croyait[1] que l’être est l’air.

Il soutenait que ce premier principe, l’air, ne diffère pas du temps, ou du nombre. Voici le passage fort obscur de Sextus où cette singulière assertion se trouve formulée[2] : « Ænésidème a dit, d’après Héraclite, que le temps est un corps ; car il ne diffère pas de l’être, ni du corps premier. Dans sa première introduction[3] ramenant à six les appellations simples des choses[4] qui sont les parties du discours, il place les mots temps et unité dans la catégorie de l’essence, qui est corporelle. Les grandeurs de temps et les principaux nombres se forment par multiplication ; car ce qu’on appelle maintenant et qui marque le temps, et de même l’unité, ne sont autre chose que l’essence. Le jour, le mois, l’année sont des multiples du maintenant, c’est-à-dire du temps. Deux, dix, cent, sont des multiples de l’unité. Ces philosophes font donc du temps un corps. »

Ænésidème affirmait encore que ce principe, en recevant les contraires, donnait naissance à toutes choses. En d’autres termes, malgré la diversité des apparences, c’est la même essence qu’on retrouve au fond de toute chose, et grâce à cette communauté d’essence, on peut dire que le tout est identique à chaque partie, et chaque partie identique au tout[5]. « La partie

  1. M., X, 233 : Τὸ τε ὂν κατὰ τὸν Ἡράκλειτον ἀήρ ἐστιν, ὡος φησιν ὁ Αἰνησίδημος.
  2. X, 216.
  3. Πρώτη εἰσαγωγή. Sur cet ouvrage, voir ci-dessus, p. 247.
  4. Comme le fait remarquer Ritter (p. 225), il y a là un essai de fonder la doctrine d’Héraclite très systématiquement par la comparaison des formes de l’être avec les formes du langage. Nouvelle preuve qu’Ænésidème prenait fort au sérieux son adhésion à la doctrine d’Héraclite.
  5. Sext., M., IX, 337.