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LIVRE III. — CHAPITRE IV.

lisme comme à un principe sa conséquence inévitable. Nous ne pouvons admettre cette méthode, qui consiste à construire l’histoire à priori. D’ailleurs, le texte cité plus haut dit précisément le contraire de ce que Saisset lui fait dire. Ænésidème, dit Sextus[1], regardait le scepticisme comme le chemin qui mène à l’héraclitéisme : de quel droit soutenir que c’est l’héraclitéisme qui l’a conduit au scepticisme[2] ?

Zeller et Diels[3] proposent une explication très ingénieuse. D’après eux, c’est par suite d’une méprise qu’on attribue à Ænésidème les opinions d’Héraclite. Ce philosophe aurait, peut-être dans un ouvrage particulier[4], résumé à titre d’historien, ou pour en tirer des arguments, la philosophie d’Héraclite ; puis, comme il est arrivé quelquefois, on lui aurait attribué les opinions qu’il exprimait pour le compte d’autrui. Deux raisons ont déterminé Zeller à prendre ce parti. D’abord, c’est le seul moyen de disculper Ænésidème du reproche de contradiction. De plus, dans tous les passages de Sextus cités ci-dessus, il est expressément indiqué qu’Ænésidème parle d’après Héraclite : Ὥς φησιν ὁ Αἰνησίδημος κατὰ Ἡράκλειτον. Si Ænésidème est parfois nommé seul, on peut prouver une fois au moins que Sextus lui attribue une opinion qu’il avait pu exprimer aussi pour le compte d’Héraclite. Le passage M. VIII, 8, attribué à Ænésidème seul[5], dit évidemment la même chose que le passage VII, 131, où Héraclite est nommé. Tertullien[6], ou plutôt Soranus, dont s’inspire Tertullien, aurait fait la même confusion, peut-être parce que tous deux ne connaissaient les écrits d’Ænésidème qu’à travers les livres d’un sceptique plus récent, celui-là même peut-être qui avait fait la confusion.

  1. P., I, 210.
  2. La même erreur a été commise par Diels, op. cit., p. 210.
  3. Doxog. Græci, p. 210.
  4. Hirzel discute avec beaucoup de force (op. cit., p. 78) les diverses suppositions qu’on peut faire à ce sujet.
  5. C’est par erreur que ce passage est considéré par Zeller comme ne nommant qu’Ænésidème (p. 36) : Héraclite est nommé deux lignes plus haut.
  6. De anima, 14.