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LIVRE III. — CHAPITRE IV.

qu’on doit distinguer une partie positive et une partie négative. Si donc la même théorie se fût déjà trouvée, comme le croit Natorp, chez Ænésidème, Sextus était admirablement préparé à la comprendre, et à la louer. Mais bien loin de la reconnaître chez Ænésidème, il traite son devancier comme un dogmatiste : il le réfute, il lui reproche sa témérité (προπέτεια).

Dira-t-on que Sextus n’a pas compris les distinctions introduites par Ænésidème ? Quelle invraisemblance ! Et comment Natorp, qui loue si bien la fidélité, l’exactitude et l’intelligence de Sextus lorsqu’il s’agit de le défendre contre Zeller et Diels, pourrait-il lui supposer ici tant de légèreté et un esprit si obtus ? On ne peut même pas imaginer que Sextus ait été trompé par l’emploi de certains mots, tels que ἀλήθεια, ὑπαρχειν, οὐσία ; car il remarque lui-même que le langage, naturellement dogmatique, se prête mal à l’expression des idées sceptiques ; il est donc en garde contre les erreurs de ce genre, et dans les circonstances délicates, il ne manque pas d’avertir que les termes dogmatiques dont il est obligé de se servir trahissent un peu sa pensée ; en fait il évite les formules équivoques. Ces précautions que prend Sextus, Ænésidème n’avait-il pu les prendre avant lui ? Et même s’il ne les a pas prises, comment croire que l’esprit délié et exercé de Sextus n’ait pas su reconnaître, à travers une terminologie défectueuse, des idées qui lui étaient à lui-même si familières ?

Il ne reste plus qu’à supposer que Sextus, comprenant la vraie pensée d’Ænésidème, n’ait pas voulu la reconnaître, apparemment pour se réserver le mérite de l’originalité. Ce serait une supposition toute gratuite, car nulle part Sextus ne témoigne d’aucune prétention de ce genre. Il ne donne pas comme lui étant propre la doctrine qu’il expose : elle est le bien commun des sceptiques. En fait, il semble bien qu’elle a été professée avant lui, telle qu’il l’enseigne, par quelques-uns de ses prédécesseurs, tels que Ménodote. Loin de vouloir innover, Sextus invoque volontiers les autorités les plus anciennes : s’il ne cite guère les modernes, il écrit souvent les noms de Pyrrhon, de