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LIVRE III. — CHAPITRE IV.

il proclame un principe tout opposé et, ayant prouvé l’impossibilité d’atteindre aucune existence réelle, il n’affirme aucune existence de ce genre, en introduisant dans la formule de son principe le mot ὑπάρχειν. C’est bien subtil, mais il s’agit d’Ænésidème.

Toute cette subtilité est en pure perte. Pour en avoir raison, une simple remarque suffit : nous voyons dans Sextus que, pour Ænésidème, le scepticisme est un acheminement vers l’héraclitéisme. Par suite, le scepticisme et l’héraclitéisme ne sont pas une même chose : on n’est plus sceptique en étant héraclitéen ; on n’est pas à la fois sur la route et au but. Et comment croire que ce soit un sceptique qui ait adopté les théories très dogmatiques d’Héraclite sur le temps, sur l’essence, sur l’identité du tout et de la partie ? Héraclite certes ne les interprétait pas en un sens phénoméniste : en se rattachant si explicitement à Héraclite, Ænésidème ne les interprète pas autrement qu’Héraclite. C’est donc avec toute raison que Sextus fait une distinction très nette entre l’héraclitéisme et le pyrrhonisme. La conciliation rêvée par Natorp est impossible.


III. Si on ne rejette pas les textes de Sextus, comme Zeller, si on ne les concilie pas avec les autres passages du même auteur comme l’a tenté Natorp, il ne reste plus qu’un parti à prendre, c’est d’admettre qu’Ænésidème a changé d’idée, qu’il y a plusieurs phases dans sa vie. Il ne serait pas le seul qui, à différentes périodes, eût professé des doctrines différentes. On admet sans difficulté que, dans sa jeunesse, il a passé du scepticisme mitigé de l’Académie au scepticisme radical. Pourquoi, par une seconde évolution, ne serait-il pas allé du scepticisme au dogmatisme ? Un peu de scepticisme l’avait écarté du dogmatisme ; beaucoup de scepticisme l’aurait ramené à une sorte de dogmatisme. On dit aussi que Platon, vers la fin de sa vie, devint pythagoricien.

On devrait hésiter à accepter cette explication, si cette troisième doctrine, cette troisième manière était sans rapport logique avec la précédente. Qu’un esprit tel qu’Ænésidème, dont on a pu