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LIVRE III. — CHAPITRE IV.

sidème. Rien, dans les textes que nous avons, n’autorise à supposer qu’il eût adopté toutes les vues dogmatiques d’Héraclite. Sauf la théorie de l’âme et de la raison commune, toutes les opinions attribuées à Ænésidème se rapportent à la doctrine de l’existence des contraires, et cette théorie de l’âme peut elle-même être considérée comme une annexe de l’autre : c’est une manière de se représenter l’origine de la connaissance qui trouve naturellement sa place dans une doctrine où on admet la réalité objective des contraires.

En résumé, nous croyons qu’après avoir défendu, avec quelle vigueur et quelle force, on l’a vu ci-dessus, le pur scepticisme, Ænésidème, de propos délibéré et sachant fort bien ce qu’il faisait, a pris parti pour cette autre forme de scepticisme, qui n’est, à vrai dire, qu’un dogmatisme négatif. En procédant ainsi, il a cru rester fidèle à ses principes et les suivre jusqu’en leurs dernières conséquences. Il a cru être en progrès sur lui-même : à certains égards il a eu raison. Il y a peut-être plus de franchise et de hardiesse dans cette forme de scepticisme que dans l’autre. En tout cas, il y a plus de métaphysique, et Ænésidème est avant tout un métaphysicien.

Si cette explication est vraie, il n’y a pas lieu de s’étonner que les sceptiques ultérieurs, malgré une sorte de défection, aient persisté à le tenir pour un des leurs : au fond, ils s’entendaient. Dans tous les cas, ils avaient le droit de prendre leur bien où ils le trouvaient et d’adopter les thèses de la première partie de la vie d’Ænésidème en écartant les autres. C’est ce qu’ont fait, de nos jours, certains positivistes à l’égard d’Auguste Comte.

Est-ce à dire qu’avec Ritter[1], il ne faille voir en Ænésidème qu’un dogmatiste ? Cette manière de s’exprimer a le tort de ne pas distinguer entre les deux périodes de la vie du philosophe. On doit l’appeler sceptique, puisqu’il l’a été très sincèrement ; ses changements ultérieurs ne modifient pas le caractère de sa

  1. Op. cit., p. 223.