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LIVRE III. — CHAPITRE VI.

Un seul nom, parmi ces philosophes, a échappé à l’oubli, et, chose singulière, ce n’est pas celui d’un des chefs de l’école, d’un de ceux qui parlaient officiellement en son nom, et avaient reçu directement l’héritage des maîtres. Agrippa n’est pas cité dans la liste de Diogène : Sextus n’écrit pas son nom une fois. Nous savons pourtant, à n’en pas douter, qu’il introduisit dans la doctrine sceptique des vues nouvelles, qu’il fut l’auteur d’une série de tropes, et on verra que cette liste marque un véritable progrès. C’est à ce philosophe hors cadre qu’il était réservé de donner la formule la plus nette et la plus décisive des arguments sceptiques. Aussi mérite-t-il de nous arrêter.


I. Nous ne connaissons rien de la vie d’Agrippa, nous ne pouvons même fixer avec certitude l’époque où il a vécu. Haas[1] croit pouvoir affirmer qu’il enseigna à la fin du Ier siècle après J.-C. et au commencement du second. Mais son calcul repose tout entier sur ce fait que Diogène, le seul auteur qui mentionne le nom d’Agrippa, avait emprunté à Favorinus tout ce qu’il dit des sceptiques. Il semble bien cependant que le compilateur ne s’est pas borné à suivre Favorinus, non plus que Sextus, puisque sa liste des dix tropes diffère de celles de ces deux philosophes.

Ce qui est certain, c’est qu’Agrippa fut assez célèbre, et eut assez d’influence, pour qu’un sceptique, nommé Apelles, donnât son nom à un de ses ouvrages[2].

Haas, s’étonnant qu’un tel philosophe n’ait pas été reconnu comme chef de l’école, imagine que la liste de Diogène, où il n’est pas mentionné, ne comprend que les sceptiques qui furent en même temps médecins. Mais c’est une hypothèse que rien ne justifie. Parmi les sceptiques qui furent médecins, Haas compte Zeuxis ; or, on a vu plus haut les raisons qui contredisent cette assertion. En outre, où commencerait, dans cette liste, la série des sceptiques médecins ? Ænésidème, qui y figure, ne paraît pas avoir jamais cultivé la médecine. Il faut donc laisser Agrippa,

  1. Op. cit., p. 85.
  2. Diog., IX, 106.