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INTRODUCTION. — CHAPITRE II.

l’appliquait, dit encore avec raison l’historien anglais[1] était animé de l’esprit le plus vrai de la science positive et formait un précurseur indispensable qui aidait à y parvenir. » — « Socrate, ajoute-t-il, était le contraire d’un sceptique : personne ne regarda jamais la vie d’un œil plus positif et plus pratique ; personne ne tendit jamais à son but avec une perception plus claire de la route qu’il parcourait ; personne ne combina jamais comme lui l’enthousiasme du missionnaire avec la finesse, l’originalité, l’esprit de ressources inventif et la compréhension généralisatrice du philosophe. »

Toutefois, si Socrate est le contraire d’un sceptique, il faut reconnaître qu’il y a dans son dogmatisme des parties de scepticisme. Lorsqu’il répudie la science de la nature et déclare que de tels sujets dépassent l’entendement humain[2], que la divinité les dérobe à nos yeux, il parle comme les sophistes et comme les sceptiques de tous les temps. Il est vrai qu’il donne une définition de la science, et en cela il diffère des sophistes et des sceptiques ; mais, il ne faut pas s’y tromper, la science dont il parle est uniquement la science morale[3] : les concepts qui en sont l’objet sont uniquement des concepts moraux. Qu’est-ce que le bien ? le juste et l’injuste ? la piété ? Voilà les questions qu’il examine le plus souvent dans les Mémorables de Xénophon ; et certainement Xénophon nous représente Socrate plus fidèlement que Platon. Comme les sophistes, la pratique l’intéresse bien plus que la théorie : toute son ambition, comme la leur,

  1. Op. cit., p. 341.
  2. Xénophon, Memor., I, I, 11 ; — IV, VII, 6. — Aristote, Mét., I, 6.
  3. Nous croyons que M. Fouillée, dans son livre d’ailleurs si remarquable, La Philosophie de Socrate (ch. II et III ; Paris, G. Baillière, 1874), a exagéré le caractère métaphysique de la philosophie de Socrate. Le texte si connu du Phédon 96, A, sur lequel repose surtout son interprétation, marque nettement la différence du point de vue de Socrate, disposé à expliquer le monde par l’homme, avec celui des philosophes antérieurs, disposés à expliquer l’homme par le monde ; mais il n’implique pas un système de métaphysique. La seule science dont Socrate s’occupe et dont il reconnaisse la légitimité est la morale. Cf. Ém. Boutroux, op. cit. Il resterait d’ailleurs à savoir si dans ce passage Platon exprime, non sa propre pensée, mais celle de son maître, et c’est fort douteux.