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LIVRE IV. — CHAPITRE I.

nous, que des dialecticiens : ils poursuivaient une fin purement négative et ne songeaient qu’à renverser le dogmatisme. La science supprimée, ils ne mettaient rien à sa place, et se contentaient, dans la vie pratique, d’une routine réglée sur l’opinion commune. Les sceptiques de la dernière période sont des médecins : s’ils veulent aussi, et de la même manière, détruire le dogmatisme ou la philosophie, c’est pour la remplacer par l’art, fondé sur l’observation, par la médecine, c’est-à-dire par une sorte de science. Ils sont purement et ouvertement phénoménistes, mais ils ont une méthode et en font même la théorie. Ils combattent le dogmatisme, comme de nos jours les positivistes combattent la métaphysique : à la philosophie ils opposent l’expérience ou l’observation (τήρησις), comme aujourd’hui on oppose la science positive à la métaphysique.

Par suite, il y a lieu de distinguer dans leur doctrine deux parties : l’une négative ou destructive, l’autre positive ou constructive, et cette dernière n’est pas la moins curieuse ni la moins originale. On ne trouve rien de pareil chez les sceptiques de la période précédente. La dialectique n’est plus cultivée ou aimée pour elle-même, elle est mise au service de l’empirisme ; elle est un instrument qu’on emploie, mais qu’on rejette après s’en être servi, et qu’au fond on méprise.

Nulle part ailleurs, si ce n’est peut-être pendant certaines périodes peu connues de l’épicurisme, on n’a vu éclater dans l’antiquité le débat qui divise aujourd’hui les esprits entre la science positive et la métaphysique. À ce titre, l’histoire du scepticisme empirique est pour nous d’un haut intérêt. Les mêmes questions qui nous passionnent aujourd’hui s’y retrouvent, présentées en des termes différents et vues sous un autre angle.

Avant d’exposer la doctrine sceptique sous la forme définitive que lui a donnée Sextus Empiricus, dont les ouvrages pourraient être appelés la somme de tout le scepticisme, nous devons indiquer ce qu’il nous est possible de savoir des philosophes de cette dernière période.