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MÉNODOTE ET SEXTUS EMPIRICUS.

il en donne pour raison que, parmi les auteurs cités par lui, il en est bien peu qui soient postérieurs au milieu du Ier siècle avant J.-C. C’est certainement là un fait important et qui mérite d’être pris en sérieuse considération, car nous savons par Sextus lui-même que le scepticisme eut de son temps de redoutables adversaires, tels que les stoïciens, et il est étrange qu’il n’ait pas eu l’occasion de nommer ces adversaires, ou même ses propres prédécesseurs. Pourtant il fait quelquefois allusion à des théories certainement postérieures à Ænésidème, par exemple aux cinq tropes d’Agrippa et aux deux tropes qui y furent plus tard substitués[1]. En outre, toutes les fois qu’Ænésidème adopte les opinions d’Héraclite, nous voyons que Sextus se sépare de lui, et il lui arrive de le combattre directement[2]. Si on compare avec les livres de Sextus la rapide analyse que Photius nous a conservée de celui d’Ænésidème, on constate aisément, comme il fallait s’y attendre, que les mêmes questions principales sont traitées par les deux auteurs ; il y a pourtant des différences assez notables. L’ordre des questions n’est pas le même ; que ce soit à Sextus ou à un autre qu’il faille en attribuer l’honneur, il est certain que le plan de Sextus est mieux conçu et mieux ordonné. De plus, Ænésidème avait consacré trois livres sur huit aux questions morales ; Sextus, soit dans les Hypotyposes, soit dans le Πρὸς μαθηματικούς, leur fait une part bien moins large ; il est visible qu’il n’insiste pas volontiers sur ce sujet : il n’en parle qu’à son corps défendant, et, si on peut dire, par acquit de conscience. Enfin, il ne paraît pas qu’Ænésidème ait eu, comme Sextus, le goût des recherches et des comparaisons historiques. Photius nous dit bien qu’il avait pris soin, au début de son livre, de distinguer nettement le scepticisme de la nouvelle Académie ; mais sans doute c’était dans un intérêt de pure polémique

  1. Sextus fait encore allusion à des événements postérieurs à Ænésidème en divers endroits : P., I, 84, où il nomme l’empereur Tibère ; P., I, 222, où il cite soit Ménodote, soit Hérodote ; M. II, 62, où paraît le nom d’Hennagoras, contemporain d’Auguste ; M. I, 60, où on trouve le nom du péripatéticien Ptolémée, qui est du Ier ou du IIe siècle de l’ère chrétienne.
  2. M. VII, 364.