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LIVRE IV. — CHAPITRE I.

et afin d’expliquer et de justifier sa désertion[1]. Sextus, au contraire, s’attache, dans les Hypotyposes, à distinguer le scepticisme non seulement de la nouvelle Académie, mais encore de toutes les doctrines qui présentaient avec lui une analogie même lointaine. De même, dans le Πρὸς μαθηματικούς, il est visible qu’il traite avec goût les questions historiques ; il s’y attarde volontiers, et il y apporte une impartialité, un souci d’exactitude et une précision auxquels il n’est que juste de rendre hommage. Ses expositions de doctrine sur le critérium de la vérité, par exemple, et sur la théorie de la connaissance des stoïciens, ont l’étendue et la valeur d’une véritable exposition historique ; on oublie presque, en les lisant, que ces théories ne sont si bien exposées que pour être réfutées, et qu’elles ne sont là que pour faire mieux ressortir le mérite des conclusions sceptiques.

Nous sommes fort loin de vouloir dire que ce n’est pas d’Ænésidème que viennent la plupart des arguments exposés par Sextus ; c’est, au contraire, notre opinion qu’il faut attribuer à ce philosophe tout ce qu’il y a d’essentiel dans la partie critique du nouveau scepticisme. Ses successeurs n’ont guère fait autre chose que d’étendre à de nouvelles questions les procédés de discussion dont il s’était servi ; ils se sont inspirés de son esprit, et ont continué son œuvre à peu près dans la direction que lui-même avait marquée. Mais ce qui nous semble difficile, c’est d’admettre que Sextus se soit attaché au texte même d’Ænésidème. Il faut songer que, dans l’intervalle qui sépare les deux philosophes, bien des écrits sceptiques avaient été publiés, dont le dernier venu a dû faire son profit. Peut-être, il est vrai, le livre d’Ænésidème avait-il servi de modèle à tous ces écrits sceptiques, et formait-il comme le thème auquel ils ajoutaient des variations. En tout cas, il ne semble pas que nous ayons le droit de refuser à Sextus le triple mérite d’avoir donné à l’œuvre une forme plus régulière, d’avoir réuni autour des arguments d’Ænésidème tous ceux que la subtilité sceptique avait inventés après

  1. Voy. ci-dessus, p. 248.