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LIVRE IV. — CHAPITRE I.

dément encore et non sans quelque embarras, une sorte de science ou d’art, fondée uniquement sur l’observation, sur l’étude des phénomènes et de leurs lois de succession. Ce scepticisme est ce que nous appelons aujourd’hui le positivisme. C’est là sa marque distinctive, c’est le caractère nouveau du scepticisme de la dernière période. Or, cette méthode nouvelle, sinon dans ses traits essentiels, au moins par la rigueur avec laquelle elle est appliquée, est celle de Ménodote. Nul doute que Sextus ne procède directement de Ménodote. Certains chapitres, par exemple celui qui est consacré à la réfutation des sophismes[1], sont probablement inspirés par le premier sceptique médecin.

Toutefois, si Sextus a fait de nombreux emprunts, on ne saurait voir en lui un vulgaire compilateur ; on ne doit pas lui adresser les reproches que Diogène mérite si bien. Le soin qu’il prend de recourir aux textes originaux, de citer même longuement les propres paroles des auteurs qu’il combat, n’est pas le fait d’un esprit inattentif qui veut s’épargner la peine de penser et de comprendre ; c’est plutôt le souci d’un historien consciencieux et méthodique, qui ne veut rien avancer à la légère : c’est le scrupule honorable d’un écrivain qui ne veut ni affaiblir, ni travestir la pensée de ses adversaires, et met sa gloire à exposer impartialement leurs opinions. Peut-être faut-il voir là un heureux effet de cette méthode d’observation précise que Ménodote venait d’introduire dans la science.

En tout cas, même au milieu de ce fatras d’arguments qu’il reproduit d’après autrui, Sextus sait garder une sorte d’originalité. Il n’est pas besoin de le lire longtemps pour s’apercevoir qu’on a affaire à un esprit très net et très délié, très maître de sa propre pensée, et fort capable de s’assimiler celle des autres. Il prend un plaisir évident, et souvent beaucoup plus qu’il ne faudrait, à se jouer au milieu des subtilités de la dialectique. Ce n’est pas qu’il se fasse illusion sur l’utilité de cette science : il sait lui dire son fait à l’occasion, et il lui arrive d’opposer fort

  1. P., II, 229.