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INTRODUCTION. — CHAPITRE II.

une attitude sceptique. Dans toutes les discussions, son premier mot était qu’il ne savait rien ; son premier soin était de montrer, soit à des adversaires présomptueux, soit à des disciples inexpérimentés, qu’ils ignoraient tout ; et il ajoutait qu’il n’avait rien à leur apprendre[1]. De là cette formule si connue : « Ce que je sais le mieux, c’est que je ne sais rien[2]. » Ou encore : « Seule la Divinité possède la sagesse ; la science humaine n’a que peu de valeur, et même n’en a aucune[3]. » La seule supériorité qu’il osât s’attribuer sur les autres était de ne pas croire qu’il savait alors qu’il ignorait[4]. À force de faire de l’ignorance et du doute un éloge immodéré, il a fini par être pris au mot : on s’est trompé sur son ironie, et, sans le savoir ou sans le vouloir, ce dogmatiste a favorisé de son nom et de ses exemples les entreprises ultérieures du scepticisme.


II. Parmi les successeurs de Socrate, ceux qu’on appelle les petits socratiques ne furent qu’à demi fidèles à leur maître ; du moins, s’ils se souvinrent de son enseignement, ils ne le conservèrent pas sans alliage, et l’on voit reparaître dans leurs doctrines l’influence des philosophes antérieurs et des sophistes : celle de l’éléatisme et de Gorgias, chez les mégariques et les cyniques[5] ; celle d’Héraclite et de Protagoras, chez les cyrénaïques. De là dans ces doctrines des germes de scepticisme qui ne tardèrent pas à se développer.

Euclide est certainement un philosophe dogmatique. Avec ses maîtres éléates, il répète que les sens nous trompent, mais il a une confiance absolue dans la raison : il croit à l’unité de

  1. Plat., Théét., 150, C ; Meno, 80 A ; Arist., Soph. elench., xxxiv, 183.
  2. Cic., Ac., II, xxiii, 74 ; I, iv, 16.
  3. Plat., Apol. Socr., 21, B, et seq.
  4. Ibid.
  5. Antisthène avait été le disciple de Gorgias (Diog., VI, i ; Ath., V, 220) ; quant à Euclide, nous ne savons comment il fut initié aux doctrines de l’école d’Élée ; mais il n’est pas douteux qu’il les ait connues. Cicéron (Ac., II, xlii, 129) ne fait aucune distinction entre l’école d’Élée et celle de Mégare, appelée plus tard l’école d’Élis, et enfin école d’Érétrie lorsque Ménédème se fut établi dans cette dernière ville. Cf. Aristocl. ap. Eus., Præp. ev., XIV, xvii, 1.