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LIVRE IV. — CHAPITRE II.

a-t-il des συνημμένα réguliers ? On n*en sait rien. Et à ce compte, ceux qui ne savent pas ce qu’est une proposition simple, et n’ont pas appris la dialectique, ne devraient pas savoir ce qu’est un signe. Ne voit-on pas pourtant des pilotes sans culture, et des laboureurs, interpréter très exactement les signes célestes ? Et le chien ne comprend-il pas des signes quand il suit une piste ?

S’il est établi qu’il n’y a point de signes indicatifs, il est établi par là même qu’il n’y a pas de démonstration ; car la démonstration est formée de signes ou de preuves. Cependant, il faut faire voir que la démonstration proprement dite, telle que la définissent les dogmatistes et surtout les stoïciens, est chose absolument inintelligible.

La démonstration en général (γενική) est chose obscure, car on en dispute. Pour mettre fin au débat il faudrait une preuve, c’est-à-dire une démonstration. Mais comment recourir à une démonstration particulière, lorsqu’on ne sait pas si la démonstration en général est possible ? On a le choix entre le cercle vicieux et la régression à l’infini. Prendra-t-on pour point de départ une démonstration particulière qu’on déclarera vraie, par exemple celle qui établit l’existence des atomes et du vide, et inférera-t-on de là que la démonstration en général est possible ? C’est faire une hypothèse : mais l’hypothèse contraire sera tout aussi légitime.

D’ailleurs, quand nous exprimons la première prémisse, la seconde et la conclusion n’existent pas encore : quand nous exprimons la seconde, la première n’existe plus. Or, un tout ne peut exister si les parties n’existent pas ensemble. Donc, il n’y a pas de démonstration[1].

Les dogmatistes répondent : Il ne faut pas demander que tout soit démontré. On doit poser d’abord (ἐξ ὑποθέσεως λαμβάνειν) certains principes évidents, si on veut que le raisonnement puisse avancer. Mais, répond le sceptique, il n’est pas nécessaire que le raisonnement avance. Et comment avancera-t-il ? Si les

  1. P., II, 144.