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L’EMPIRISME. — PARTIE CONSTRUCTIVE.

CHAPITRE III.

LE SCEPTICISME EMPIRIQUE. — PARTIE CONSTRUCTIVE.


La suspension absolue du jugement devrait logiquement conduire, dans la pratique, à l’inertie absolue. Être incertain dans ses jugements mène tout droit à être irrésolu dans ses actions ; le parfait sceptique, s’il était conséquent avec lui-même, se désintéresserait de la vie. Le doute se traduit, dans la vie pratique, par l’indifférence. Mais Pyrrhon est le seul qui ait osé avouer cette conséquence ; ses disciples sont plus timides. Vivre à l’aventure, demeurer inerte, s’isoler du monde, ne s’intéresser à rien, voilà une manière d’être qu’il était difficile de recommander sérieusement et qui avait peu de chances de plaire. En Grèce surtout, les apôtres d’une telle doctrine n’auraient guère échappé au ridicule ; c’est à peine si les sceptiques y échappèrent en adoucissant singulièrement les conséquences de leur principe. Il faut vivre : voilà ce que répètent à l’envi les adversaires des sceptiques ; et les sceptiques en conviennent. Dès lors, ils sont forcés d’admettre un minimum de dogmatisme. Nous avons vu comment les premiers pyrrhoniens et les nouveaux académiciens reconnurent cette nécessité, et s’y soumirent. Les sceptiques de la dernière époque n’échappent pas à cette loi. Ils reprennent les vues de leurs devanciers, mais y ajoutent quelque chose ; l’empirisme leur fournit un nouveau moyen de répondre aux exigences de la vie pratique et du sens commun. Par suite, cette part de dogmatisme inavoué qu’on retrouve au fond de toute doctrine Sceptique, prend chez eux une importance plus grande. Ce n’est pas qu’ils la mettent volontiers en lumière, et s’y arrêtent avec complaisance ; ils la laissent plutôt au second plan, sentant bien que là est le point faible du système. Mais, par la force