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LIVRE IV. — CHAPITRE III.

par l’ardeur avec laquelle ils l’ont défendue, par l’importance, exagérée souvent, qu’ils lui ont attribuée, par les conséquences, souvent excessives, qu’ils en ont tirées. Or, cette idée, qui est le fond de leur doctrine, et peut-être toute leur doctrine, les sceptiques l’ont eue comme eux. Certes, ils ne s’en sont pas rendu un compte exact et n’ont pas su en tirer grand parti : par là, ils demeurent fort au-dessous de leurs modernes continuateurs. Ils sont pourtant les véritables ancêtres du positivisme. Quelque opinion, d’ailleurs, qu’on ait sur ce point, ce qui est incontestable, c’est qu’ils ont essayé de fonder un art pratique tout à fait analogue à ce que nous appelons aujourd’hui la science positive, ne relevant que de l’expérience et n’ayant besoin, pour se constituer, d’aucune solution métaphysique. Ce n’est pas un mince mérite : ils réalisaient en cela un véritable progrès et devançaient l’esprit moderne.

Peut-être n’est-ce pas par insuffisance de génie qu’ils n’ont pas tiré de leur idée un meilleur parti : s’ils avaient cherché leur art pratique plutôt dans la physique que dans la médecine, ou si cet art avait pu réunir un assez grand nombre de propositions évidentes ou vérifiées, peut-être se seraient-ils enhardis à lui donner le nom de science. Malheureusement, c’est à la médecine, la plus complexe de toutes les sciences de la nature et qui, aujourd’hui même, commence à peine à devenir une science expérimentale, qu’ils se sont d’abord attachés : leurs efforts n’ont pas été et ne pouvaient pas être assez tôt couronnés de succès pour justifier une telle hardiesse. Il ne leur a manqué peut-être que d’arriver par un autre chemin au point qu’ils ont atteint, pour doter l’esprit humain, quelques siècles plus tôt, de la méthode expérimentale.

En revanche, il est une question où les sceptiques nous paraissent reprendre l’avantage. Cette réserve, cette sorte de pudeur logique, qui leur interdit d’usurper le nom de science pour une doctrine fondée uniquement sur l’expérience, leur conserve une physionomie à part et les distingue nettement de tous les modernes. De nos jours, on est porté à dire que, seuls, les phéno-