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CONCLUSION.

est vrai, à certaines réalités, mais ressemblant aussi peu à ces réalités que les mots aux choses qu’ils désignent. Reid lui-même l’admettait. On peut donc considérer ce point comme acquis.

Il est vrai, car il faut se garder d’exagérer le mérite des sceptiques, que la psychologie moderne se refuse à admettre que les sens nous trompent. Confirmant ce qu’Aristote et Épicure avaient déjà dit, elle a établi que, prises en elles-mêmes et dégagées de tout ce que l’esprit y ajoute pour les interpréter, les données des sens ne sont jamais fausses. Mais elles ne sont pas vraies non plus ; car quelle signification ce mot pourrait-il avoir dès l’instant qu’on renonce à considérer les sensations comme des copies fidèles de la réalité ? La vérité, comme l’erreur, réside uniquement dans les combinaisons, dans les synthèses formées de plusieurs sensations. C’est ce que les sceptiques n’ont pas compris. Leurs analyses, sauf celle de Carnéade, qui s’est approché bien près de la vérité, sont incomplètes et superficielles. Mais, pour les juger équitablement, il faut se souvenir de la thèse qu’ils voulaient combattre. Que croyait le sens commun, et avec lui la plupart des philosophes ? Que les sens, soit toujours, soit en certains cas, nous représentent exactement les choses telles qu’elles sont. C’était notamment la thèse des stoïciens. Les sceptiques étaient certainement dans le vrai en leur prouvant qu’ils se trompaient.


Il y a bien des sophismes parmi les arguments que les sceptiques ont dirigés contre le raisonnement ou la théorie de la preuve ; mais il faut ici négliger les détails pour ne voir que l’essentiel. Or, le raisonnement, pris en lui-même, nous permet-il d’atteindre la réalité ? Le propre du raisonnement est d’établir a priori un lien de nécessité absolue entre les termes qu’il unit, et cette nécessité se ramène à l’identité ; comme nous disons aujourd’hui, le raisonnement est essentiellement analytique. En d’autres termes, la conclusion ne faisant que répéter ce qui est déjà contenu dans les prémisses, le raisonnement ne nous ap-