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CONCLUSION.

effets. Comment, d’ailleurs, pourrait-il en être autrement, s’il est vrai que l’effet soit différent de la cause ? D’une chose, l’analyse ne saurait tirer autre chose qu’elle-même. Il ne resterait qu’à concevoir expressément dans la cause ce qu’il s’agit d’expliquer : mais il est clair qu’alors on n’expliquerait rien. C’est après coup, quand l’expérience nous a appris à connaître l’effet, que, par une sorte de retour, nous nous avisons de le retrouver dans la cause ; nous faisons comme ces prophètes qui prédisent l’avenir après qu’il est arrivé. Réduits à nous-mêmes et avec l’aide du seul principe de causalité, nous ne saurions a priori (et sans cela il n’y a pas de science) trouver aucune explication.

Au risque d’étonner nos lecteurs, nous avouons ne pas voir ce qu’on pourrait opposer à cette argumentation. La thèse d’Ænésidème a été reprise et développée avec une précision supérieure par D. Hume ; on n’a jamais, que nous sachions, répondu rien de sérieux à cette page du philosophe écossais[1] : « Je hasarderai ici une proposition que je crois générale et sans exception : c’est qu’il n’y a pas un seul cas assignable où la connaissance du rapport qui est entre la cause et l’effet puisse être obtenue a priori ; mais qu’au contraire cette connaissance est uniquement due à l’expérience, qui nous montre certains objets dans une connexion constante. Présentez au plus fort raisonneur qui soit sorti des mains de la nature, à l’homme qu’elle a doué de la plus haute capacité, un objet qui lui soit entièrement nouveau ; laissez-le examiner scrupuleusement ses qualités sensibles ; je le défie, après cet examen, de pouvoir indiquer une seule de ses causes ou un seul de ses effets. Les facultés rationnelles d’Adam nouvellement créé, en les supposant d’une entière perfection dès le premier commencement des choses, ne le mettaient pas en état de conclure de la fluidité et de la transparence de l’eau, que cet élément pourrait le suffoquer, ni de la lumière et de la chaleur du feu, qu’il serait capable de le réduire en cendres. Il n’y a point d’objet qui manifeste par ses qualités sensibles les causes

  1. Essais philosophiques, IVe essai, p. 411, trad. Renouvier et Pillon, Paris, 1878.