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CONCLUSION.

tique, je veux simplement dire que ces propositions ne s’imposent pas à ma croyance avec une absolue nécessité, et je le prouve, non en disant qu’elles sont fausses, mais en ne leur donnant pas mon assentiment. C’est, après tout, une reproduction de l’argument trop vanté de Diogène prouvant le mouvement en marchant. — Vous n’êtes pas de bonne foi, dira le dogmatiste. Vos lèvres seules refusent un assentiment que, dans votre for intérieur, votre esprit ne peut s’empêcher d’accords. — Voilà l’ultima ratio : on arrive vite, dans les discussions de ce genre, aux personnalités blessantes.

Mais, d’abord, qui ne voit le danger de cette méthode ? Nul n’a le droit de s’ériger en juge de la bonne foi des autres. Historiquement, combien n’y a-t-il pas de philosophes au-dessus du soupçon qui ont tenu pour douteuses des propositions que la bonne foi d’autres philosophes leur interdisait de mettre en suspicion ? Quand Descartes faisait l’hypothèse du malin génie, ne révoquait-il pas en doute des propositions analogues à celles que nous venons de prendre pour exemples ? Ce que Descartes a fait, sans trop y croire, il est vrai, et hyperboliquement, comme il le dit, d’autres philosophes ne peuvent-ils le faire dans toute la sincérité de leur cœur ?

Mais laissons ces considérations et examinons l’argment en lui-même. Les mots dont il est réduit à se servir en désespoir de cause, cette expression de bonne foi, ne devraient-ils pas avertir le dogmatiste qu’il déplace la question et donne, sans s’en douter, gain de cause à son adversaire ? Qu’entend-on par bonne foi, sinon un acte moral où le sentiment entre pour quelque chose et la volonté pour beaucoup ? Le mot bon, le mot foi ne sont pas du langage de l’intelligence ; la raison pure n’a rien à voir avec la bonté, mais avec la vérité ; elle n’a pas de foi, mais prétend à la certitude. C’est la raison pratique qu’on invoque pour vaincre les hésitations de la raison pure : c’est le cœur et la volonté qu’on appelle à son aide. On fait bien assurément ; on ne peut ni ne doit faire autrement. Mais on ne réfute pas les sceptiques, qui prétendent que la raison pure ne suffit à