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CONCLUSION.

sont contentés de celui d’art ou de routine, c’est peut-être parce que leurs maladroits essais pour appliquer la méthode d’observation ne leur ont donné que de maigres résultats. Ils auraient sans doute été plus heureux si, au lieu d’appliquer leurs procédés à la médecine, la plus difficile et la plus complexe des sciences expérimentales, ils les eussent transportés dans la physique. Très probablement le succès les aurait enhardis, et, rejetant le titre de sceptiques, ils se seraient proclamés des savants, les seuls savants, et on les aurait vus dogmatiser d’importance. Disons donc, si on veut, que leur théorie est un dogmatisme dans l’enfance, un dogmatisme qui ne se connaît ni ne se possède encore pleinement : on ne peut refuser d’y voir un dogmatisme.

En fin de compte, le scepticisme échappe chaque fois qu’on croit le saisir. Considérez un sceptique quelconque, un sceptique concret et vivant, suivez-le jusqu’au bout, et toujours il arrive un moment où il se transforme en dogmatiste. Tout scepticisme recèle un dogmatisme implicite et ne subsiste que par là. Si on cherche à déterminer la valeur exacte du mot scepticisme, la réalité concrète à laquelle il correspond, on ne trouve rien. Le scepticisme n’est plus qu’une différence entre divers dogmatismes ; on n’est pas sceptique par soi-même, mais par rapport à autrui : le scepticisme n’est pas une chose, mais une relation, une différence, une limite, ou, pour parler comme les scolastiques, une privation. C’est un dogmatisme qui ne s’avoue pas ou se déguise ; c’est moins une doctrine que l’envers d’une doctrine. C’est une attitude que prend un dogmatisme pour en combattre un autre ; c’est un pur non-être : le scepticisme n’est qu’un nom de guerre.

Enfin, si nous cessons de nous placer au point de vue des anciens, pour embrasser dans son ensemble le problème du scepticisme, il n’est pas douteux que les progrès de la science aient porté au scepticisme un coup dont il ne se relèvera pas. Qui donc oserait aujourd’hui se proclamer sérieusement sceptique ? Il y a certes bien des choses dont on peut douter : s’il s’agit de scepticisme partiel, il y aura toujours des sceptiques. Mais de sceptiques complets,