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CONCLUSION.

pas la volonté : ici encore, il faut à l’origine de la connaissance un acte de libre initiative. Mais, une fois que l’autorité du devoir a été reconnue (et il importe peu que ce soit par obéissance ou par persuasion), le doute a disparu. L’agent moral n’a plus besoin de jeter les yeux sur le monde pour raffermir ses croyances : c’est en lui-même qu’il découvre la vérité ; sa volonté se suffit pleinement à elle-même. Nul ne peut faire que l’idée du devoir ne soit absolument certaine pour quiconque s’est décidé à lui obéir. Ni les démentis de l’expérience, ni les cruautés de la vie ne sauraient affaiblir la fermeté du stoïcien : le monde peut s’écrouler sans ébranler sa foi. C’est assurément le type le plus parfait de certitude que nous puissions connaître.

Tel est le dogmatisme qu’on peut opposer sans crainte aux critiques du pyrrhonisme. Mais, si nous condamnons le scepticisme, nous ne devons méconnaître ni ses mérites ni les concessions que nous avons dû lui faire. Si la science a pu se constituer définitivement, c’est à condition de faire droit à ses principales objections : elle a triomphé avec lui plutôt que contre lui. Quoi qu’on ait pu dire, l’école sceptique est une grande école : elle a contribué pour sa bonne part au progrès de l’esprit humain, elle a apporté sa pierre à cet édifice qu’elle déclarait impossible. En dépit des apparences, Pyrrhon, Carnéade, Ænésidème, Agrippa ont bien mérité de l’esprit humain. Cette science dont ils n’ont pas voulu, s’élevant plus haut qu’eux, grâce à eux, peut les compter parmi ses précurseurs. Leur pensée négative revit dans l’œuvre qu’ils ont méconnue, et, quelques restrictions qu’on doive faire, le jugement de l’impartiale postérité sera que ces puissants esprits n’ont pas perdu leur peine.