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LES ORIGINES DE L’ANCIEN SCEPTICISME.

On avait déjà vu bien des fois succomber la justice et le bon droit, mais il était réservé à ce temps de voir le plus insolent triomphe de la force brutale. Démosthènes et Hypéride sont morts ; Léosthènes a succombé ; Phocion boit la ciguë. Mais, après Démétrius de Phalère, Démétrius Poliorcète s’installe triomphalement dans Athènes, souille le temple de Minerve de débauches sans nom et introduit ouvertement en Grèce la dépravation orientale. Toute la Grèce est en proie à une horde de soldats avides et sans scrupules ; partout la trahison, la fraude, l’assassinat, des cruautés honteuses, inconnues jusque-là dans l’Occident. Et ce n’est pas seulement la Grèce, c’est l’univers entier, livré aux lieutenants d’Alexandre, qui donne ce lamentable spectacle.

Si encore on avait pu laisser passer la tourmente et attendre des temps meilleurs ! Mais l’espérance même est interdite. L’avenir est aussi sombre que le présent. Le peuple d’Athènes est si profondément corrompu qu’il n’y a plus rien à attendre de lui : l’arbre est pourri à sa racine. C’est ce temps, en effet, où les Athéniens se déshonorèrent par d’indignes flatteries à Démétrius Poliorcète ; ils changent la loi, chose inouïe, pour lui permettre de s’initier avant l’âge aux mystères d’Éleusis ; ils chantent en son honneur l’Ityphallus et le mettent au-dessus des dieux : « Ce que commande Démétrius est saint à l’égard des dieux, juste à l’égard des hommes[1]. On élève des temples à ses maîtresses et à ses favoris. Les choses en viennent à ce point que Démétrius lui-même déclare qu’il n’y a plus à Athènes une seule âme noble et généreuse[2] et on voit des philosophes tels que Xénocrate[3] refuser le droit de cité dans Athènes.

Les philosophes même ne sont pas exempts de reproche. Outre que la philosophie est devenue trop souvent une sorte d’amusement accessible même aux courtisanes[4], on a vu des

  1. Plut., Démétr., 24.
  2. Athén., VI, 62, 63, p. 253 ; Plut., Démétr., 26.
  3. Plut., Phoc., 29.
  4. Athén., XIII, p. 583 ; VII, p. 279.