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LES ORIGINES DE L’ANCIEN SCEPTICISME.

pour qu’on soit autorisé à penser qu’il n’y avait pas entre eux une communion d’idées fort intime.

Il est un point pourtant par où Démocrite et Pyrrhon se touchent de plus près : c’est la morale. Nous voyons en effet que pour Démocrite, le bien suprême est la bonne humeur (εὐθυμία), l’absence de crainte (ἀθαμβία), la tranquillité, l’ataraxie[1]. Pyrrhon dira à peu près la même chose. Il est possible que les livres de Démocrite qu’il lisait le plus volontiers fussent des traités comme le Περὶ εὐθυμίης[2] ou le Περὶ τύχης[3]. Toutefois, il ne paraît pas que Démocrite ait érigé l’adiaphorie et l’apathie[4] en système, et on ne trouve chez Pyrrhon rien d’analogue à la théorie de Démocrite sur le plaisir et la douleur considérés comme critérium de l’utile et du nuisible[5]. Enfin, s’il y a des ressemblances entre les deux philosophes, il faut rappeler que l’éthique de Démocrite se relie assez mal au reste de son système[6].

On pourrait aussi trouver d’assez frappantes analogies entre Pyrrhon et Socrate. Il est certain que les pyrrhoniens se donnaient eux-mêmes pour des socratiques[7] Et nous verrons que Pyrrhon, comme Socrate, s’est proposé avant tout de trouver le secret du bonheur. Comme lui, il renonce à la science théorique pour tourner toutes ses préoccupations du côté de la vie pratique. Comme lui aussi, il prêche d’exemple, et fait plus d’impression sur ses disciples par sa conduite que par ses discours. Mais ici encore les différences l’emportent de beaucoup sur les ressemblances. Socrate croit toujours à la science, et s’il lui assigne pour but la recherche du souverain bien, s’il la confond

  1. Cic. Fin., V, xxix, 87 ; Diog., IX, 45 ; Stob., Ecl., II, 76.
  2. Diog., IX, 46 ; Sén., Tr. an., 2, 3.
  3. Mullach, Fragm. philos. Grœc., I, p. 341.
  4. Nous montrerons plus loin que c’est bien l’apathie et non pas, comme le veut Hirzel, l’ataraxie qu’enseigna Pyrrhon.
  5. Stob., Flor., III, 34.
  6. Voir Zeller, La philos. des Grecs, t. i, trad. Boutroux, p. 349.
  7. Cic, De orat., III, 17 : « Fuerunt etiam alia genera philosophorum qui se omnes fere Socraticos dicebant, Eretriorum, Herilliorum, Megaricorum, Pyrrhoneorum. »