Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/115

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

parie ! s’écria la belle Annah Jackson. Votre tailleur, infatué d’un costume de chevau-léger, vous aura traité d’artiste ou de démagogue. Cher monsieur, ces remarques ne pèsent pas le moindre fleuret : vous êtes étranger, cela se voit.

— Je le suis même un peu partout, madame, répondit en s’inclinant le baron Saturne.

— Allons ! vous vous faites désirer ?

Rarement, je vous assure !… murmura, de son air à la fois le plus galant et le plus équivoque, le singulier personnage.

Nous échangeâmes un regard, C*** et moi ; nous n’y étions plus : que voulait dire ce monsieur ? La distraction, toutefois, nous paraissait assez amusante.

Mais, comme les enfants qui s’engouent de ce qu’on leur refuse :

— Vous nous appartenez jusqu’à l’aurore, et je prends votre bras ! s’écria Antonie.

Il se rendit ; nous quittâmes la salle.

Il avait donc fallu cette fusée d’inconséquences pour entraîner ce bouquet final ; nous allions nous trouver dans une intimité assez relative avec un homme dont nous ne savions rien, sinon qu’il avait joué au casino de Wiesbaden et qu’il avait étudié les goûts divers des cigares de la Havane.

Ah ! qu’importait ! le plus court, aujourd’hui, n’est-ce pas de serrer la main de tout le monde ?

Sur le boulevard, Clio la Cendrée se renversa, rieuse, au fond de la calèche et, comme son tigre métis attendait en esclave :