Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/119

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daine. Et, deux ou trois fois, il nous fit tressaillir, C*** et moi, par la façon dont il soulignait ses paroles et par l’impression d’arrière-pensées, tout à fait imprécises, qu’elles nous laissaient.

Tout à coup, au beau milieu d’un accès de rire, dû à certaine facétie de Clio la Cendrée, — et qui était, vraiment, des plus divertissantes ! — j’eus je ne sais quelle idée obscure d’avoir déjà vu ce gentilhomme dans une toute autre circonstance que celle de Wiesbaden.

En effet, ce visage était d’une accentuation de traits inoubliable et la lueur des yeux, au moment du clin des paupières, jetait, sur ce teint, comme l’idée d’une torche intérieure.

Quelle était cette circonstance ? Je m’efforçais en vain de la nettifier en mon esprit. Céderai-je même à la tentation d’énoncer les confuses notions qu’elle éveillait en moi ?

C’étaient celles d’un événement pareil à ceux que l’on voit dans les songes.

cela pouvait-il bien s’être passé ? Comment accorder mes souvenirs habituels avec ces intenses idées lointaines de meurtre, de silence profond, de brume, de faces effarées, de flambeaux et de sang, qui surgissaient dans ma conscience, avec une sensation de positivisme insupportable, à la vue de ce personnage ?

— Ah çà ! balbutiai-je très bas, est-ce que j’ai la berlue, ce soir ?

Je bus un verre de champagne.