Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/141

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qui constitue la hideur de la chose, c’est la particularité de la monomanie. Quant au reste, un fol est un fol, rien de plus. Lisez les aliénistes : vous y relèverez des cas d’une étrangeté presque aussi surprenante ; et ceux qui en sont atteints, je vous jure que nous les coudoyons en plein midi, à chaque instant, sans en rien soupçonner.

— Mes chers amis, conclut C*** après un moment de saisissement général, je n’éprouverais pas, je l’avoue, d’éloignement bien précis à choquer mon verre contre celui que me tendrait un bras séculier, comme on disait au temps où les bras des exécuteurs pouvaient être religieux. Je n’en chercherais pas l’occasion, mais si elle s’offrait à moi, je vous dirais, sans trop déclamer (et Les Eglisottes, surtout, me comprendra), que l’aspect ou même la compagnie de ceux qui exercent les fonctions capitales ne saurait m’impressionner en aucune façon. Je n’ai jamais très bien compris les effets des mélodrames à ce sujet.

» Mais la vue d’un homme tombé en démence, parce qu’il ne peut remplir légalement cet office, ah ! ceci, par exemple, me cause quelque impression. Et je n’hésite pas à le déclarer : s’il est, parmi l’Humanité, des âmes échappées d’un Enfer, notre convive de ce soir est une des pires que l’on puisse rencontrer. Vous aurez beau l’appeler fol, cela n’explique pas sa nature originelle. Un bourreau réel me serait indifférent ; notre affreux maniaque me fait frissonner d’un frisson indéfinissable !

Le silence qui accueillit les paroles de C*** fut