Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/165

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ne se composait, exclusivement, que de silences. Or, même pour les personnes qui ne sont pas du métier, qu’y a-t-il de plus difficile à exécuter que le silence pour le Chapeau-chinois ?… Et c’était un crescendo de silences que devait exécuter le vieil artiste !

Il se roidit à cette vue ; un mouvement fiévreux lui échappa !… Mais rien, dans son instrument, ne trahit les sentiments qui l’agitaient. Pas une clochette ne remua. Pas un grelot ! Pas un fifrelin ne bougea. On sentait qu’il le possédait à fond. C’était bien un maître, lui aussi !

Il joua. Sans broncher ! Avec une maîtrise, une sûreté, un brio, qui frappèrent d’admiration tout l’orchestre. Son exécution, toujours sobre, mais pleine de nuances, était d’un style si châtié, d’un rendu si pur, que, chose étrange ! il semblait, par moments, qu’on l’entendait !

Les bravos allaient éclater de toutes parts quand une fureur inspirée s’alluma dans l’âme classique du vieux virtuose. Les yeux pleins d’éclairs et agitant avec fracas son instrument vengeur qui sembla comme un démon suspendu sur l’orchestre :

— Messieurs, vociféra le digne professeur, j’y renonce ! Je n’y comprends rien. On n’écrit pas une ouverture pour un solo ! Je ne puis pas jouer ! c’est trop difficile. Je proteste ! au nom de M. Clapisson ! Il n’y a pas de mélodie là-dedans. C’est du charivari ! L’Art est perdu ! Nous tombons dans le vide.

Et, foudroyé par son propre transport, il trébucha.