Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/169

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même que votre esprit s’en soit bien rendu compte, c’est l’obscur désir d’aller trouver quelque comédien hors ligne pour lui demander quels sont les gestes convenables où vous devez vous laisser emporter par la circonstance. L’Art conduirait-il à l’endurcissement ?… Cela m’inquiète.

— Lucienne, répondit le comte, j’ai connu certain chanteur qui, auprès du lit de mort de sa fiancée et entendant la sœur de celle-ci se répandre en sanglots convulsifs, ne pouvait s’empêcher de remarquer, malgré son affliction, les défauts d’émission vocale qu’il y avait lieu de signaler dans ces sanglots et songeait, vaguement, aux exercices propres à leur donner « plus de corps ». Ceci vous semble mal ?… Cependant, notre chanteur mourut de cette séparation, et la survivante quitta le deuil juste au jour prescrit par l’usage.

Madame Émery regarda Maximilien.

— À vous entendre, dit-elle, il serait difficile de préciser en quoi consiste la sensibilité véritable et à quels signes on peut la reconnaître.

— Je veux bien dissiper vos doutes à ce sujet, répondit en souriant M. de W***. Mais les termes… techniques… sont déplaisants, et je crains…

— Laissez donc ! j’ai mon bouquet de violettes de Parme, vous avez votre cigare ; je vous écoute.

— Eh bien ! soit ; j’obéis, répliqua Maximilien. — Les fibres cérébrales affectées par les sensations de joie ou de peine paraissent, dites-vous, comme détendues chez l’artiste, par ces excès d’émotions intellec-